<61>opérations militaires; je suis comme les joueurs qui sont dans le malheur, et qui s'opiniâtrent contre la fortune. Je l'ai forcée de revenir à moi plus d'une fois, comme une maîtresse volage. J'ai affaire à de si sottes gens, qu'il faut nécessairement qu'à la fin j'aie l'avantage sur eux; mais qu'il arrive tout ce qui plaira à Sa sacrée Majesté le Hasard, je ne m'en embarrasse pas. J'ai jusqu'ici la conscience nette des malheurs qui me sont arrivés. La bataille de Minden, celle de Cadix, et la perte du Canada, sont des arguments capables de rendre la raison aux Français, auxquels l'ellébore autrichien l'avait brouillée. Je ne demande pas mieux que la paix, mais je la veux non flétrissante. Après avoir combattu avec succès contre toute l'Europe, il serait bien honteux de perdre par un trait de plume ce que j'ai maintenu par l'épée.
Voilà ma façon de penser. Vous ne me trouverez pas à l'eau rose; mais Henri IV, mais Louis XIV, mes ennemis mêmes, que je puis citer, ne l'ont pas été plus que moi. Si j'étais né particulier, je céderais tout pour l'amour de la paix; mais il faut prendre l'esprit de son état. Voilà tout ce que je puis vous dire jusqu'à présent. Dans trois ou quatre semaines, la correspondance sera plus libre, etc.
369. AU MÊME.a
Camp près de Wilsdruf, 17 novembre 1759.
Grand merci de la tragédie de Socrate;b elle devrait confondre le fanatisme absurde, vice dominant à présent en France, et qui, ne pouvant exercer sa fureur ambitieuse sur des sujets de politique, s'acharne sur les livres et sur les apôtres du bon sens.
a La plus grande partie de cette lettre, tirée de l'édition de Kehl, se trouve déjà, avec quelques corrections, dans notre t. XII, p. 127-131. De plus, nous en avons donné une copie, prise sur l'autographe, dans notre t. XIII, p. 195-200.
b Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. VI, p. 483-534.