373. AU MÊME.a
Freyberg, 3 avril 1760.
Quelle rage vous anime encore contre Maupertuis? Vous l'accusez de m'avoir trahi. Sachez qu'il m'a fait remettre ses vers bien cachetés après sa mort, et qu'il était incapable de me manquer par une pareille indiscrétion.
Laissez en paix la froide cendre
Et les mânes de Maupertuis;
La Vérité va le défendre,
Elle s'arme déjà pour lui.
Son âme était noble et fidèle;
Qu'elle vous serve de modèle.
Maupertuis sut vous pardonner
Ce noir écrit, ce vil libelle
Que votre fureur criminelle
Prit soin chez moi de griffonner.b
Voyez quelle est votre manie :
Quoi! ce beau, quoi! ce grand génie,
Que j'admirais avec transport,
Se souille par la calomnie,
Même il s'acharne sur un mort!
Ainsi, jetant des cris de joie,
Planant en l'air, de vils corbeaux
S'assemblent autour des tombeaux,
Et des cadavres font leur proie.
Non, dans ces coupables excès
Je ne reconnais plus les traits
De l'auteur de la Henriade;
Ces vertus dont il fait parade,
Toutes je les lui supposais.
Hélas! si votre âme est sensible,
Rougissez-en pour votre honneur,
Et gémissez de la noirceur
De votre cœur incorrigible.
a Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes, t. VII, p. 297-299; elle se trouve déjà dans notre t. XII, p. 164 et 165.
b Voyez t. XII, p. 124, t. XIV, p. 196, et ci-dessus, p. 21.