377. AU MÊME.
Meissen, 12 mai 1760.
Je sais très-bien que j'ai des défauts, et même de grands défauts. Je vous assure que je ne me traite pas doucement, et que je ne me pardonne rien, quand je me parle à moi-même. Mais j'avoue que ce travail serait moins infructueux, si j'étais dans une situation où mon âme n'eût pas à souffrir des secousses aussi impétueuses et des agitations aussi violentes que celles auxquelles elle a été exposée depuis un temps, et auxquelles probablement elle sera encore en butte.
La paix s'est envolée avec les papillons; il n'en est plus question du tout. On fait de toutes parts de nouveaux efforts, et l'on veut se battre jusques in saecula saeculorum.
Je n'entre point dans la recherche du passé. Vous avez eu sans doute les plus grands torts envers moi. Votre conduite n'eût été tolérée par aucun philosophe. Je vous ai tout pardonné, et même je veux tout oublier. Mais, si vous n'aviez pas eu affaire à un fou amoureux de votre beau génie, vous ne vous en seriez pas tiré aussi bien chez tout autre. Tenez-le-vous donc pour dit, et que je n'entende plus parler de cette nièce qui m'ennuie, et qui n'a pas autant de mérite que son oncle pour couvrir ses défauts. On parle de la servante de Molière,a mais personne ne parlera de la nièce de Voltaire.b Pour mes vers et mes rapsodies, je n'y pense pas; j'ai bien ici d'autres affaires, et j'ai fait divorce avec les Muses jusqu'à des temps plus tranquilles.
Au mois de juin, la campagne commencera. Il n'y aura pas là de quoi rire; plutôt de quoi pleurer. Souvenez-vous que Phihihuc est en plein voyage. Si un certain petit duc possédé d'une centaine de légions de démons autrichiens ne se fait promptement exorciser, qu'il craigne le voyageur qui pourrait écrire d'étranges choses à son sublime empereur.
Je ferai la guerre de toute façon à mes ennemis. Ils ne peuvent
a Elle se nommait Laforêt.
b Voyez ci-dessus, p. 62.
c Voyez t. XV, p. XV, et 159-174.