<9>vois que sa noble paternité a des entrailles de charité; et elle doit savoir que j'étais un frère servant très-attaché au père prieur, pensant comme lui, et disant mon office à son honneur et gloire. J'ai un petit monastèrec près de Lausanne, sur le chemin de Neufchâtel; et, si ma santé me l'avait permis, j'aurais été jusqu'à Neufchâtel pour voir mylord Marischal;d mais j'aurais voulu pour cela des lettres d'obédience.
Il m'est venu ici deux jeunes gens de Paris, qui m'ont dit qu'il y a un nommé Poinsinete à qui on a fait accroire que le roi de Prusse l'avait choisi pour être précepteur de son fils, mais que l'article du catholicisme était embarrassant. Il a signé qu'il serait de la religion que le Roi voudrait. Il apprend actuellement à danser et à chanter pour donner une meilleure éducation au fils de S. M., et il n'attend que l'ordre du Roi pour partir. Pour moi, j'attends tout doucement la fin de mes coliques, de mes rhumatismes, de mes ouvrages, et de toutes les misères de ce monde.
Je vous embrasse.
336. DU MÊME A FRÉDÉRIC.
(Aux Délices) octobre 1757.a
Sire, ne vous effrayez pas d'une longue lettre, qui est la seule chose qui puisse vous effrayer.
a Voltaire au duc de Richelieu, le 4 février 1757 : « Le roi de Prusse vient de m'écrire une lettre tendre. » L'édition Beuchot, t. LVII, p. 214, ajoute en note : « Datée du 19 janvier, à Dresde. Cette lettre de Frédéric nous est inconnue. » Voltaire écrit aussi au comte d'Argental, le 12 septembre 1757 : « Je ne sais si je vous ai fait part de la lettre qu'il (Frédéric) m'a écrite il y a environ trois semaines : J'ai appris, dit-il, que vous vous étiez intéressé à mes succès et à mes malheurs; il ne me reste qu'à vendre cher ma vie, etc, etc. » Nous ne connaissons de cette lettre du Roi que la phrase citée.
c Monrion ou Mont-Riond, campagne située entre Lausanne et le lac Léman. Voltaire s'y établit le 16 décembre 1755, et il y resta jusqu'au 10 mars 1756. Il y fit un second séjour de trois mois, du 9 janvier 1757 aux premiers jours du mois d'avril suivant.
d Voyez t. XX, p. 291 et 292.
e Henri Poinsinet, surnommé le Petit, né à Fontainebleau en 1735, se noya dans le Guadalquivir en 1769. Auteur dramatique médiocre, il est célèbre par les mystifications que lui attira son excessif amour-propre. Sa comédie du Cercle est restée longtemps au théâtre.