<90>chagrins, nos plaisirs et nos espérances ne nous suivent plus, où votre beau génie et celui d'un goujat sont réduits à la même valeur, où enfin on se retrouve dans l'état qui précéda la naissance.
Peut-être dans peu vous pourrez vous amuser à faire mon épitaphe. Vous direz que j'aimai les bons vers, et que j'en fis de mauvais; que je ne fus pas assez stupide pour ne pas estimer vos talents; enfin vous rendrez de moi le compte que Babouc rendit de Paris au génie Ituriel.a
Voici une grande lettre pour la position où je me trouve. Je la trouve un peu trop noire; cependant elle partira telle qu'elle est; elle ne sera point interceptée en chemin, et demeurera dans le profond oubli où je la condamne.
Adieu; vivez heureux, et dites un petit bénédicité en faveur des pauvres philosophes qui sont en purgatoire.
381. AU MÊME.a
Strehlen, novembre 1761.
Le solitaire des Délices ne se rira-t-il pas de moi et de tous les envois que je lui fais? Voici une pièce que j'ai faite pour Catt;b elle n'est pas dans le goût de mes élégies, que vous avez la bonté de caresser. Ce bon enfant, me voyant toujours avec mes stoïciens, me soutint, il y a quelques jours, que ces beaux messieurs n'aidaient point dans l'infortune; que Gresset, le Lutrin de Boileau, Chaulieu, vos ouvrages, convenaient mieux à ma triste situation que ces bavards philosophes, dont on pourrait se passer, surtout lorsqu'on avait en soi-même cette force d'âme qu'ils ne donnent et ne peuvent pas donner. Je lui fis mes humbles repré-
a Le monde comme il va, vision de Babouc. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIII. p. 26 : « Si tout n'est pas bien, tout est passable. »
a Cette lettre est tirée de l'édition de Bâle, t. II, p. 344 et 345.
b Voyez t. XII, p. 219-223.