<95>Enfin, comblé d'ans, rassasié de gloire, et vainqueur de l'infâme, je vous vois monter l'Olympe, soutenu par les génies de Lucrèce, de Sophocle, de Virgile et de Locke, placé entre Newton et Épicure, sur un nuage brillant de clarté.
Pensez à moi quand vous entrerez dans votre gloire, et dites comme celui que vous savez : « Ce soir tu seras assis à ma table. »a
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
384. AU MÊME.
Berlin, 8 janvier 1766.
Non, il n'est point de plus plaisant vieillard que vous. Vous avez conservé toute la gaîté et l'aménité de votre jeunesse. Votre lettre sur les miracles m'a fait pouffer de rire. Je ne m'attendais pas à m'y trouver, et je fus surpris de m'y voir placé entre les Autrichiens et les cochons.b Votre esprit est encore jeune, et, tant qu'il restera tel, il n'y a rien à craindre pour le corps. L'abondance de cette liqueur qui circule dans les nerfs, et qui anime le cerveau, prouve que vous avez encore des ressources pour vivre.
Si vous m'aviez dit, il y a dix ans, ce que vous dites en finissant votre lettre, vous seriez encore ici. Sans doute que les hommes ont leurs faiblesses,c sans doute que la perfection n'est point leur partage; je le ressens moi-même, et je suis convaincu de l'injustice qu'il y a d'exiger des autres ce qu'on ne saurait accomplir, et à quoi soi-même on ne saurait atteindre. Vous deviez
a Voyez, saint Luc, chap. XXIII, v. 43.
b Frédéric est plusieurs fois cité et loué dans les Questions sur les miracles, 1765. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLII, p. 178, 201, 226, 227, 244 et 247. Il est parlé de la maison d'Autriche et des cochons aux pages 181 et 156.
c Allusion à une lettre de Voltaire, du 21 décembre 1765, qui est perdue, et où se trouvaient les mots suivants, que nous tirons de la traduction allemande, et que nous retraduisons ainsi : « Vous parlez de mes faiblesses; oubliez-vous que je suis homme? » Voyez Friedrichs des Zweiten hinterlassene Werke. Aus dem Französichen übersetzt. Berlin, 1789, t. I, p. XXXI (b).