<97>en a refusé? En France, aucun conte de balourdise qui ne roule sur un Suisse; en Allemagne, quoique nous ne passions pas pour les plus découplés, nous plaisantons cependant la nation helvétique. Vous avez tout changé. Vous créez des êtres où vous résidez; vous êtes le Prométhée de Genève. Si vous étiez demeuré ici, nous serions à présent quelque chose. Une fatalité qui préside aux choses de la vie n'a pas voulu que nous jouissions de tant d'avantages.
A peine aviez-vous quitté votre patrie, que la belle littérature y tomba en langueur; et je crains que la géométrie n'étouffe en ce pays le peu de germe qui pouvait reproduire les beaux-arts. Le bon goût fut enterré à Rome dans le tombeau de Virgile, d'Ovide et d'Horace; je crains que la France, en vous perdant, n'éprouve le sort des Romains.
Quoi qu'il arrive, j'ai été votre contemporain. Vous durerez autant que j'ai à vivre, et je m'embarrasse peu du goût, de la stérilité ou de l'abondance de la postérité.
Adieu; cultivez votre jardin,a car voilà ce qu'il y a de plus sage.
385. DE VOLTAIRE.
(Ferney) 1er février 1766.
Sire, je vous fais très-tard mes remercîments; mais c'est que j'ai été sur le point de ne vous en faire jamais aucun. Ce rude hiver m'a presque tué; j'étais tout près d'aller trouver Bayle, et de le féliciter d'avoir eu un éditeur qui a encore plus de réputation que lui dans plus d'un genre; il aurait sûrement plaisanté avec moi de ce que V. M. en a usé avec lui comme Jurieu; elle a tronqué l'article David. Je vois bien qu'on a imprimé l'ouvrage sur la seconde édition de Bayle. C'est bien dommage de ne pas rendre à ce David toute la justice qui lui est due; c'était un abominable
a « Mais il faut cultiver notre jardin. »Candide, Œuvres de Voltaire, édition Beuchot. t. XXXIII, p. 344.