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467. A VOLTAIRE.

Potsdam, 4 avril 1773.

Vous savez que tous les princes ont des espions; j'en ai jusqu'au pied des Alpes, qui m'ont alarmé en m'apprenant les dangers dont vous avez été menacé. Je ne sais s'ils mont annoncé juste (car vous savez que les princes sont sujets à être trompés); mais ils soutiennent que votre mal est dégénéré en goutte; ce qui m'a doublement réjoui. Cette maladie, à votre âge, pronostique une longue vie, et je suis bien aise de vous associer à notre confrérie de goutteux.

Je vous fais des remercîments de la tragédie que vous m'avez envoyée. Vous avez été frappé des événements arrivés en Pologne, et des révolutions de Suède; et cela vous a fourni la matière d'un drame. Je crois que, si vous vouliez l'entreprendre, vous feriez, des nouvelles de gazette, des sujets de tragédie.

Celle-ci est certainement très-nouvelle, et ne ressemble à aucun des sujets que les tragiques anciens ou modernes ont traités. Je ne vous répéterai point l'étonnement que j'ai de vous voir rajeunir dans un âge où notre espèce cesse d'être; mais s'il est permis à un dilettante, ou, pour mieux nommer les choses par leur nom, à un ignorant comme moi, de vous exposer mes doutes, il me paraît que la mort d'un prêtre ne peut toucher personne, et que si Astérie ou Teucer avaient péri par les complots des pontifes, on aurait été plus remué et plus attendri.

Vous qui possédez les secrets de ce grand art d'émouvoir, vous qui avez plus approfondi cette matière qu'un dilettante tel que je suis, vous avez eu sans doute des raisons de préférer le dénoûment qui se trouve dans la pièce à celui que je propose.

Ne vous attendez pas à recevoir de ma part des ouvrages de cette nature; nous aimons mieux, dans ce pays, n'avoir que des sujets comiques; les autres, nous les avons eus par le passé. Et nous aimons mieux voir représenter des tragédies que d'en être les acteurs.

Quelque âge que vous ayez, vous avez un doyen dans ce pays-ci; c'est le vieux Pöllnitz. Il a fait une grande maladie, et <246>je vous envoie l'histoire de sa convalescence.277-a Il a actuellement quatre-vingt-cinq ans passés. Ce n'est pas une bagatelle d'avoir poussé sa carrière jusqu'à un âge aussi avancé, et de repousser les attaques de la mort comme un jeune homme.

L'autre pièce,277-b qui commence par un badinage, finit par quelques réflexions morales. J'ai fort recommandé qu'on eût soin d'en affranchir le port, parce qu'il n'est pas juste que vous payiez un fatras de fadaises qui vous ennuiera peut-être.

Vous me parlez de vos Velches et de leurs intrigues; elles me sont toutes connues. Il ne m'échappe rien de ce qui se passe à Stockholm, ainsi qu'à Constantinople. Mais il faut attendre jusqu'au bout pour voir qui rira le dernier.

Votre impératrice a bien des ressources. Le Nord demeurera tranquille, ou ceux qui voudront le troubler, tout froid qu'il est, s'y brûleront les doigts.

Voilà ce que je prends la liberté de vous annoncer, et que vos Velches, pour trouver des souverains trop crédules, pourront peut-être les précipiter eux-mêmes dans de plus grands malheurs que ceux qu'ils ont courus jusqu'à présent.

Mais je ne sais de quoi je m'avise; les pronostics ne vont point à l'air de mon visage, et ce n'est pas à un incrédule à faire le voyant, aussi peu qu'à un échappé des Teutons à faire des vers velches. Je me sauverai de ceci comme Pilate, qui dit : Quod scripsi, scripsi.278-a

On peut mal prévoir, on peut faire de mauvais vers; mais cela n'empêche pas qu'on ne soit sensible au destin des grands hommes, et que le Philosophe de Sans-Souci ne prenne un vif intérêt à la conservation du Patriarche de Ferney, pour lequel il conservera toute sa vie la plus grande admiration.


277-a Voyez t. XIII, p. 126-129, et t. XX, p. V-VII, et 83-119.

277-b Voyez t. XIII, p. 111-118.

278-a Evangile selon saint Jean, chap. XIX, v. 22.