481. A VOLTAIRE.305-a
(Berlin) 4 janvier 1774.
La dame de Paris avait certainement tort, et vous avez deviné juste en croyant que je ne me fâcherais pas de tout ce que vous venez d'écrire. L'amour et la haine ne se commandent point, et chacun a sur ce sujet le droit de sentir ce qu'il peut; il faut avouer néanmoins que les anciens philosophes, qui n'aimaient pas la guerre, ménageaient plus les termes que nos philosophes modernes, qui, depuis que Racine a fait entrer le mot de bourreau dans ses vers élégants,305-b croient que ce mot a obtenu privilége de noblesse, et l'emploient indifféremment dans leur prose.305-c Mais je vous avoue que j'aimerais autant déclamer contre la fièvre quarte que contre la guerre; c'est du temps perdu : les gouvernements laissent brailler les cyniques, et vont leur train; la fièvre n'en tient pas plus compte. Il ne reste de cela que des vers bien frappés, et qui témoignent, à l'étonnement de l'Europe, que <271>votre talent ne vieillit point. Conservez cet esprit rajeuni, et, dussiez-vous faire ma satire en vers sanglants à l'âge de cent ans, je vous réponds d'avance que je ne m'en fâcherai point, et que le Patriarche de Ferney peut dire tout ce qu'il lui plaît du Philosophe de Sans-Souci. Vale.
305-a Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes, t. IX, p. 211 et 212.
305-b Clytemnestre dit à Agamemnon, dans Iphigénie, acte IV, scène IV :
Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d'en faire à sa mère un horrible festin.
305-c J.-J. Rousseau, Émile, liv. V.