488. A VOLTAIRE.

Potsdam, 15 mai 1774.

Morival vous a les plus grandes obligations. Sans le connaître, son innocence seule a plaidé pour lui; et, rougissant de la barbarie des jugements prononcés dans votre patrie contre des légèretés qu'on ne peut qualifier de crimes, vous embrassez généreusement sa défense. C'est se déclarer le protecteur des opprimés et le vengeur des injustices. Cependant, avec toute votre bonne volonté, il sera difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir la grâce de ce jeune homme. Quelques progrès que fasse la philosophie, la stupidité et le faux zèle se maintiennent dans l'Église, et le nom de l'infâme est encore le mot de ralliement de tous les pauvres d'esprit, et de ceux que la fureur du salut de leurs concitoyens possède. Dans un royaume très-chrétien, il faut que les sujets soient très-chrétiens; et on n'en souffrira jamais qui manquent à saluer ou à s'agenouiller devant la pâte que l'on adore comme un Dieu.

<280>Le seul moyen d'obtenir grâce pour Morival est de lui persuader d'aller faire amende honorable à la porte de quelque église, la torche à la main, de se faire fesser par des moines au pied du maître-autel, et, au sortir de là, de se faire moine lui-même. Ni vous, ni lui, ne fléchirez autrement ce clergé qui se dit le ministre du Dieu des vengeances, ni les juges auxquels rien ne coûte tant que de se rétracter.

Cependant l'entreprise vous fera honneur, et la postérité dira qu'un philosophe retiré à Ferney, du fond de sa retraite, a su élever sa voix contre l'iniquité de son siècle, qu'il a fait briller la vérité au pied du trône, et contraint les puissants de la terre à réformer les abus. L'Arétin n'en a jamais fait autant. Continuez à protéger la veuve et l'orphelin, l'innocence opprimée, la nature humaine foulée sous les pieds impérieux de l'arrogance titrée; et soyez persuadé que personne ne vous souhaite plus de prospérités que le Philosophe de Sans-Souci. Vale.