<10>Ah! nos sens ont tout à risquer
De qui veut métaphysiquer;
La rose, sous la main profane
Qui s'obstine à la disséquer,
Perd tout son éclat et se fane.
Le monde, et sans rien excepter,
S'échappe dès qu'on le pénètre;
L'examiner et le connaître,
C'est apprendre à s'en dégoûter.
Pour moi, qu'une longue infortune,
Que l'âge et les maux ont flétri,
Sous le fardeau qui m'importune
J'ai fait divorce avec les Ris.
Mon erreur s'est évanouie,
Je touche aux bornes de ma vie;
Et la raison, à mes esprits
Montrant son austère figure,
Règle mes occupations,
Et veut qu'en suivant son allure,
Avec son compas je mesure
La moindre de mes actions.
Cette raison a ses apôtres;
Mais dure, inflexible envers nous.
C'est un pédagogue en courroux
Qui nous nuit en servant les autres.
Malgré tous les destins divers
Dont le caprice nous irrite,
Nous lutinant dans l'univers,
Nous allons tous au même gîte;
Les ignorants et les experts
Passeront tous l'eau du Cocjte.
L'Amour et les Plaisirs légers
Jusqu'aux portiques des enfers
En foule iront à votre suite.
Pour moi, en rêvant tristement,
Peut-être en hâtant le moment
Du coup de ciseaux de la Parque.
J'irai mélancoliquement
Passer dans la fatale barque.