105. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 13 janvier 1769.
Sire,
Avoir été six grandes semaines sans répondre à la lettre la plus aimable et la plus flatteuse, c'est, je l'avoue moi-même, une faute inexcusable; mais les grands hommes sont plus disposés à l'indulgence que personne. D'ailleurs, Sire, vous aspirez à la sainteté; c'est une raison de plus pour vous engager à la rémission des péchés, et j'avertis V. M. que, si elle ne me pardonne pas, je me joindrai à l'avocat du diable en cour de Rome pour réclamer hautement contre votre canonisation; à cela près, je m'en accommoderais fort bien. De tout temps les hommes ont rendu un culte religieux à ceux dont les vertus semblaient franchir les bornes de l'humanité. L'Europe, accoutumée à regarder V. M. comme un être supérieur, ne s'arrêterait pas au plus ou moins.
En attendant que vous vous soyez arrangé, Sire, sur la place que vous voulez au ciel, vous nous envoyez des ministres ici-bas. Rien de plus obligeant que la lettre dont V. M. a chargé pour moi M. de Borcke,a et rien de plus flatteur que quand pareille lettre vient de la part de Frédéric. Je vous prends au mot, Sire, sur les assurances que vous voulez bien me donner pour moi et pour mon fils, et que votre ministre m'a réitérées de vive voix. Il sera un témoin irréfragable des sentiments que nous professons pour V. M. Convaincue de ceux de mon fils, je sais qu'il ne négligera rien pour répondre à la confiance que vous prenez en lui, et il me sera bien doux, bien consolant de le voir toujours ami avec le héros du siècle. Si j'avais été Minerve, j'aurais montré V. M. à l'Électeur; je ne lui aurais pas dit : Voilà Mars, voilà Apollon, auquel il faut ressembler; je lui aurais dit : Voilà, mon fils, un grand prince qui vécut bien mieux que tous les dieux, les
a Adrien-Henri de Borcke, conseiller intime de légation, successeur de M. de Buch près la cour de Dresde depuis le 13 novembre 1768, nommé comte le 17 janvier 1790, mort à Stockholm en 1792.