<169>Malheureux, laisse en paix ton cheval vieillissant,
De peur que tout à coup, essoufflé, sans haleine,
Il ne laisse, en tombant, son maître sur l'arène.

Du bon vieux temps de la chevalerie, les chevaliers qui entreprenaient de grandes aventures étaient jeunes : Roland, Astolphe et les paladins de l'Arioste sont tous à la fleur de leur âge; mais le bon roi Priam, endossant son armure et s'armant de son épée pour défendre l'autel de ses dieux domestiques, tomba de faiblesse sous le poids qui l'accablait. Voilà de fortes raisons, madame, qui m'obligent à demeurer casanier, et à ne me produire qu'assuré de l'indulgence et de la bonté de ceux qui ne dédaignent pas le radotage d'un vieillard catarrheux et bavard. Mais quelque part que la destinée assigne ma demeure, en quelque retraite que je vive, le souvenir du bonheur dont j'ai joui à Moritzbourg ne s'effacera jamais de mon esprit, et je le nourrirai de l'espérance flatteuse de pouvoir peut-être, avant de mourir, parvenir à la même félicité. Je suis, etc.

109. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Pillnitz, 30 juin 1769.



Sire,

Retirée à la campagne depuis un mois, vivant loin du monde et des affaires, ignorant presque qu'il y a des princes, et des États qu'ils gouvernent, je me suis privée pendant quelque temps de la satisfaction d'écrire à V. M., quoique la dernière lettre que j'ai reçue de votre part, Sire, m'eût fait un sensible plaisir. C'est toujours le même génie qui anime tout ce qui vient de vous. Mais le style d'une espèce d'anachorète est-il fait pour intéresser le souverain de l'Europe le plus occupé de grandes choses? Voilà, Sire, ce qui a produit ma léthargie; et je ne sais combien de temps j'aurais pu y rester encore, sans l'heureux événement qui