<309>que Sapho et madame Dacier qui aient tant illustré leur sexe par leurs belles connaissances, jusqu'à ce qu'on parvienne à V. A. R.; mais quant aux grandes princesses, je crois qu'elle est la première qui ait honoré la région de la philosophie de ses lumières, et à laquelle on osât adresser des lettres pleines de réflexions sur le néant des vanités humaines. L'honneur en est d'autant plus grand pour V. A. R.; c'est le témoignage le plus sûr de la supériorité de son génie, qui sait passer d'un essor rapide du palais des Grâces et des Agréments à celui qu'Uranie et Minerve occupent.
S'il était permis, madame, de renforcer les raisons que j'osais exposer à V. A. R. sur la vicissitude des choses de ce bas monde et sur le peu de stabilité des œuvres humaines, j'aurais un vaste champ à parcourir. L'exemple du passé doit nous éclairer sur l'avenir, et à posteriori il n'y a qu'à entasser des millions d'années à la suite les unes des autres pour se convaincre que le temps, comme une éponge, efface le passé pour le remplacer par de nouveaux événements, qui ensuite, à leur tour, éprouvent la même destinée. Mais en voici bien d'une autre. Le fameux géomètre Eulera vient d'annoncer une comète qui doit paraître le 13 de ce mois, et dont un coup de queue nous enverra promener, avec notre monde, dans un autre tourbillon où il ne sera plus question de nous. Ce sera, en vérité, une comète bien brutale pour traiter ainsi des gens auxquels elle vient rendre visite, et qui n'ont pas encore l'honneur de la connaître. Mais V. A. R. aura plus de peine à croire que cette rumeur ridicule a suspendu le voyage de plusieurs personnes, comme si le lieu où l'on se trouverait ne serait pas égal, si la fin du monde arrivait. D'autres ont fait leur testament, apparemment pour déshériter la comète, et pour l'empêcher de partager leurs alleux. Et toutes ces choses se passent dans ce dix-huitième siècle qu'on nomme le siècle philosophique! En vérité, j'en ai honte pour l'esprit humain, qui paraît incorrigible de ses vieilles erreurs.
M. Euler ne m'a pas assez épouvanté pour m'empêcher de répondre à la lettre de V. A. R., et j'espère, malgré lui et sa comète, d'avoir encore souvent ce même honneur. Recevez, ma-
a Voyez t. XX, p. XIV-XVI, et p. 219-235.