<375>V. M., j'en conviens encore, est plus en état que personne d'expliquer, à propos de l'Ode, ce que c'est qu'un beau désordre,b elle qui a mis si souvent les armées de ses ennemis dans un désordre qu'elle a dû trouver magnifique. Mais, Sire, un géomètre qui a eu l'avantage de voir les convulsions des jansénistes,c et l'honneur de s'en moquer, n'est pas plus disposé à faire grâce à celles de la pythonisse et de la plupart de nos faiseurs d'odes; et je ne croirai jamais, quoi que vous en disiez, qu'il ait fallu se faire fou de sang-froid pour produire des odes comme celles d'Horace, de Rousseau, et de V. M.
Enfin, Sire, dût V. M. me trouver bien opiniâtre dans mes paradoxes, tout ce qu'elle fait en paix et en guerre, depuis vingt-deux ans de règne, me rend plus attaché que jamais à la méthode d'étudier l'histoire à rebours; et je vais parier contre vous que, dans les Mémoires de Brandebourg, la postérité lira l'histoire de Frédéric avant celle de Jean le Cicéron et d'Albert l'Achille. Ce n'est pas ma faute si, en poésie comme en histoire, vos ouvrages et vos actions m'empêchent d'adhérer à vos principes. Quintilien dit que les exemples font plus d'impression que les règles, et V. M. vaut encore mieux à étudier qu'à croire. Mais je m'aperçois que j'abuse de ses bontés et de sa patience, et que, tout en faisant des épigrammes contre la géométrie, elle a cent mille Autrichiens à renvoyer de chez elle, et cent mille Russes à prier de n'y plus revenir. Puisse la paix, Sire, être bientôt faite entre les nations! Celle de la poésie et des géomètres ne sera pas difficile à conclure, surtout si V. M. daigne en être la médiatrice.
Je suis avec le plus profond respect, etc.
b Boileau dit en parlant de l'Ode,
Art poétique
, chant II, vers 71 et 72 :Son style impétueux souvent marche au hasard;
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.
c Voyez t. XXI, p.386.