11. DU MÊME.
Paris, 7 mars 1763.
Sire,
Il m'est donc permis de respirer enfin, après tant de tourments et d'inquiétudes, et de laisser agir en liberté des sentiments si longtemps renfermés et contraints au fond de mon âme. Il m'est permis de féliciter V. M. sur ses succès et sur sa gloire, sans craindre d'offenser personne, sans trouble pour le présent, et sans frayeur pour l'avenir. Que n'a-t-elle pu lire dans mon cœur depuis six ans les mouvements qui l'ont agité, la joie que m'ont causée ses victoires (excepté celle de Rossbach, dont V. M. elle-même m'aurait défendu de me réjouir), et l'intérêt plus vif encore que j'ai pris à ses malheurs, intérêt d'autant plus grand, que je sentais ce que ces malheurs pouvaient coûter un jour à mon pays, et que je plaignais la France, sans oser même le lui dire! Je ne sais si nous traiterons les Autrichiens comme nous avons traité les jésuites; les premiers nous ont fait pour le moins autant de mal que les seconds, et nous ne pouvons pas dire comme les chrétiens que la nouvelle alliance vaut mieux que l'ancienne. Mais enfin ma patrie respire, V. M. est tranquille et au comble de la gloire; je ne veux plus de mal à personne. Puissiez-vous, Sire, jouir longtemps de cette paix et de cette gloire si justement acquises! Puissiez-vous montrer encore longtemps à l'Europe l'exemple d'un prince également admirable dans la guerre et dans la paix, grand dans la prospérité et encore plus dans l'infortune, au-dessus de l'éloge et de la calomnie!
Avec quel empressement, Sire, n'irai-je pas exprimer à V. M. ce que ma plume trace ici faiblement, et ce que mon cœur sent bien mieux! Quelle satisfaction n'aurai-je pas de mettre à vos pieds mon admiration, ma reconnaissance, mon profond respect, et mon attachement inviolable! Mais, Sire, je sens que, dans ces premiers moments de repos, V. M., occupée tout entière à essuyer des larmes qu'elle a vues couler malgré elle, aura bien mieux à faire que de converser de philosophie et de littérature. J'attendrai donc son loisir et ses ordres pour aller passer quelque