<388>gagnez à ne pas vous dérober à la communication des hommes. J'ai toujours une grande confiance dans les jansénistes et ceux de leur séquelle. Peut-être me rendront-ils le service de bannir de la France l'homme dont elle tire son plus grand ornement.

20. DE D'ALEMBERT.

Paris, 3 novembre 1764, anniversaire de la bataille de Torgau.



Sire,

J'ai lu avec toute l'attention dont je suis capable l'ouvrage sur lequel V. M. me fait l'honneur de me demander mon avis; j'y ai trouvé cet esprit de justesse et de lumière qui caractérise ses écrits comme sa conversation. Il me semble néanmoins que V. M. pourrait modifier à quelques égards la supériorité qu'elle donne à Bayle et à Gassendi sur Des Cartes et sur Leibniz. Je pense bien comme elle qu'on ne rend pas assez de justice à Gassendi, qui était un esprit très-éclairé, très-cultivé et très-sage; cependant je ne crois pas que ni lui ni Bayle doivent être préférés sans restriction à Des Cartes et à Leibniz, parce que ni Gassendi ni Bayle n'ont fait dans les sciences de ces découvertes proprement dites qui caractérisent l'homme de génie; au lieu que Des Cartes a inventé l'application de l'algèbre à la géométrie, et Leibniz le calcul différentiel. V. M. a sans doute voulu dire que ces deux grands hommes ont moins bien raisonné que Bayle et Gassendi, en les envisageant seulement comme métaphysiciens; et en cela je suis absolument de son avis. Les deux premiers étaient des esprits créateurs, les deux autres des esprits excellents. Mais il n'est pas facile, ce me semble, de régler le rang entre ces deux espèces d'esprits; et je craindrais d'ailleurs que V. M. ne s'attirât de nouveau la France et l'Allemagne sur les bras, si elle paraissait trop rabaisser les héros de ces deux nations en philosophie. A l'égard de Malebranche, je l'abandonne à V. M.; je le crois à