5. A LA PRINCESSE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Sans-Souci, 10 août 1763.
Madame,
On peut certainement, sans flatter Votre Altesse Royale, rendre justice à ses rares talents. Vos productions, madame, que vous avez daigné me donner, m'ont autorisé à vous dire avec la plus grande simplicité l'effet qu'elles ont fait sur moi. A moins d'être sans âme, sourd et aveugle, il faut aimer le génie qui réunit de quoi faire la réputation de deux grands artistes. Mais je m'arrête en si beau chemin, de crainte de choquer votre délicatesse et l'extrême retenue que V. A. R. exige de ceux qui ont le bonheur de la connaître. Je me trouve, comme le barbier de Midas, contraint de confier mon secret aux roseaux, et ceux de ces environs, pour peu qu'ils soient animés par Minerve, diront incessamment : La princesse électorale de Saxe mérite l'admiration de l'univers.
Je remercie la protectrice des jambons de ce qu'elle veut bien approuver ceux de neige, en faisant des vœux que la santé de V. A. R. se rétablisse bientôt entièrement.
Vous voulez, madame, que je m'explique sur une matière extrêmement délicate. J'aimerais autant commenter la Somme de saint Thomas que de parler politique, parce que je vois que la plupart de ceux qui s'en mêlent n'y entendent goutte. Daignez, madame, me compter pour un de ces politiques Quinze-Vingts, et pour un aveugle très-aveugle sur le fait des contingents futurs. Ce que je sais de science certaine est que les procédés de la cour de Pologne dans l'affaire de Courlandea ont extrêmement aigri l'impératrice de Russie contre le Roi; qu'on accuse ce prince de machiner à Constantinople contre la Russie, et à ne pas observer les engagements qu'il a pris avec les Russes lors de son avénement au trône. Je sais que la Russie protége beaucoup les Czartoryski, qu'elle considère comme ses fidèles partisans; qu'elle veut les soutenir dans l'affaire des tribunaux, source de divisions
a Voyez t. IV, p. 257; t. V, p. 256; et t. XVIII, p. 250.