<478>peuple,a je vous répondrai que non, parce que, l'erreur et la superstition étant inconnues, on ne doit pas les introduire, on doit même les empêcher d'éclore. En parcourant l'histoire, je trouve deux sortes d'impostures, les unes à la fortune desquelles la superstition a servi de marchepied, et celles qui, à l'aide de quelques préjugés, ont pu servir à manier l'esprit du peuple pour son propre avantage. Les premiers de ces imposteurs, ce sont les bonzes, les Zoroastre, les Numa, les Mahomet, etc.; pour ceux-là, je vous les abandonne. L'autre espèce sont les politiques qui, pour le plus grand bien du gouvernement, ont eu recours au système merveilleux, afin de mener les hommes, de les rendre dociles. Je compte de ce nombre l'usage qu'on faisait à Rome des augures, dont le secours a souvent été si utile pour arrêter ou calmer des séditions populaires que des tribuns entreprenants voulaient exciter. Je ne saurais condamner Scipion l'Africain de son commerce avec une nymphe,a par lequel il acquit la confiance de ses troupes, et fut en état d'exécuter de brillantes entreprises; je ne blâme point Marius de sa vieille,b ni Sertorius de ce qu'il menait une biche avec lui.b Tous ceux qui auront à traiter avec un grand ramas d'hommes qu'il faut conduire au même but seront contraints d'avoir quelquefois recours aux illusions, et je ne les crois pas condamnables, s'ils en imposent au public, par les raisons que je viens d'alléguer. Il n'en est pas de même de la superstition grossière. C'est une des mauvaises drogues que la nature a semées dans cet univers, et qui tient même au caractère de l'homme; et je suis moralement persuadé que si l'on établissait une colonie nombreuse d'incrédules, au bout d'un certain nombre d'années on y verrait naître des superstitions. Ce système merveilleux semble fait pour le peuple. On abolit une religion ridicule, et l'on en introduit une plus extravagante; on voit des révolutions dans les opinions, mais c'est toujours un culte qui succède à quelque autre. Je crois qu'il est bon et très-
a Voyez t. XXIII, p. 424 et 425.
a Polybe dit, livre X, chap. II, que Scipion le premier Africain s'était fondé sur des songes et sur des augures pour reculer les bornes de l'empire romain, et qu'il faisait passer tous ses desseins pour des inspirations des dieux.
b Voyez t. XXIII, p. 60, et ci-dessus, p. 311.