<561>gesse et l'amour de l'humanité y président, et règnent avec eux. S'il y a pour les mânes des sages un lieu de retraite, je ne doute pas que le pauvre Helvétius, quelque part qu'il soit, ne fasse des vœux semblables à ceux de V. M. et aux miens pour la paix et le bonheur de la malheureuse espèce humaine. J'ai vivement regretté ce digne, aimable et vertueux philosophe; à toutes les qualités respectables qui me le rendaient cher il en joignait une qui m'attachait encore particulièrement à lui; c'étaient les sentiments de respect et d'admiration dont il était rempli pour V. M. Combien de fois elle a fait le sujet de nos entretiens! combien nos cœurs s'échauffaient et s'attendrissaient mutuellement en parlant d'elle! combien de fois nous nous plaisions à répéter les obligations de toute espèce que lui ont en ce malheureux temps les lettres et la philosophie!
Je m'attendais bien, Sire, que l'histoire du prétendu ouvrage de Pline encore existant était une chimère, et je ne doute pas qu'il n'en soit de même de la fille de garde-robe qui a pris le nom de sa maîtresse, la femme du czarowitz. Je n'insiste pas non plus sur ce qui concerne la famille de Mauléon, et je respecte la manière de penser de V. M. à ce sujet. J'aimerais pourtant mieux que, au lieu de persifler les pauvres encyclopédistes sur leurs vœux réels ou prétendus pour la liberté de la presse, elle eût bien voulu m'éclairer sur cette grande question, et me dire ce qu'elle en pense. Pour l'y engager, j'oserais presque hasarder avec elle quelques réflexions sur ce sujet. Je ne sais pas si cette liberté doit être accordée; mais je pense que si on l'accorde, elle doit être sans limites et indéfinie; car pourquoi serait-il plus permis d'insulter un citoyen honnête, de lui dire qu'il est un fripon ou, si l'on veut, qu'il est le fils d'un laquais, que de dire à un homme en place qu'il est un voleur, un oppresseur ou un imbécile? En un mot, si la satire personnelle est permise, ce que je ne crois pas devoir être, je ne vois pas pourquoi on la restreindrait aux faibles et aux petits, et pourquoi les forts et les grands n'en auraient pas leur part comme les autres. Mais je crois que dans tout État bien policé, monarchique ou républicain, cette sorte de satire devrait être interdite, depuis les rangs les plus élevés de la société jusqu'aux moindres, parce qu'enfin tous les