<571>rusalem. Mustapha n'a point assez de fonds, après les énormes dépenses qu'il a faites dans cette guerre, pour se charger d'une pareille entreprise. Les juifs de Constantinople ne sont pas assez riches pour l'entreprendre; il faudrait, pour y réussir, que les encyclopédistes fissent une quête dans tout l'univers, et imposassent une taxe aux francs penseurs; et de cet argent nous élèverions cet édifice, en bravant les flammes. Cependant ne pensez pas que ce temple édifié démontât messieurs de la Sorbonne; ils se jetteraient dans des distinctions, dans des sophismes, et ils trouveraient le moyen de persuader qu'on n'a pas bâti ce temple sur la place où il fut autrefois; ils feraient à Paris des cartes de Jérusalem sans y avoir jamais été, et démontreraient aux dévots que Dieu, par un miracle, abusant les incrédules, leur aurait si bien fasciné les yeux, qu'ils auraient pris pour fonder un édifice un terrain tout opposé à celui du temple de Salomon. Des cagots qui veulent toujours avoir raison, qui ne respectent pas la vérité, et qui sont dans l'usage de mentir impunément, ne demeurent jamais sans réplique. Mais ces bons messieurs sont si fort vilipendés, si décrédités dans l'esprit des penseurs, qu'on ne saurait les avilir plus qu'ils ne le sont déjà. Laissons donc au docteur Tamponnet,a au docteur Riballier,b aux Garassec modernes le faible argument d'Ammien Marcellind pour étayer leur vieux palais magique qui s'écroule.

Ce sont les philosophes, ces âmes divines nées de la raison universelle, qui, en apprenant à penser aux hommes, ont enfin nettoyé leur esprit des contes de Peau-d'âne et de Barbe-bleue si longtemps consacrés par des fripons en soutane. Voilà pourquoi j'aime ces philosophes, et pourquoi tout homme sensé devrait leur ériger des autels; j'en dédie un petit à l'Anaxagoras de l'Encyclopédie, et je lui dis : Mon bon sens bénit ta raison supérieure,


a L'abbé Tamponnet, docteur de Sorbonne, avait été censeur de l'Encyclopédie.

b Le docteur Riballier était syndic de la Sorbonne lorsque ce corps censura le Bélisaire de Marmontel (1767).

c François Garasse, jésuite; Pascal en parle dans les Provinciales.

d Ammien Marcellin, ou les dix-huit livres de son histoire qui nous sont restés. Nouvelle traduction (par Moulines). A Lyon, 1776, trois volumes in-8. Voyez notre t. XXIII, p. 411 et 412.