<590>accorder à l'humanité pour lui faire supporter les maux réels qu'elle endure. Dormez et espérez, et tout ira bien. Vivez, car votre existence fera plus de peine à vos envieux, ou bien à vos ennemis, que votre mort ne leur ferait de plaisir. Souvenez-vous que l'univers n'est pas concentré dans Paris, et que si l'on ne connaît pas dans votre patrie le prix que vous valez, on vous rend plus de justice ailleurs. Sur ce, etc.
124. DE D'ALEMBERT.
Paris, 1er janvier 1773.
Sire,
Pénétré comme je le suis des sentiments aussi tendres que respectueux que V. M. me connaît depuis longtemps pour sa personne, je la prie de me permettre de commencer la lettre que j'ai l'honneur de lui écrire, à peu près comme Démosthène commence sa harangue pour la Couronne. Je prie d'abord tous les dieux et toutes les déesses de conserver dans l'année où nous entrons, comme ils ont fait dans les précédentes, un prince si précieux aux lettres, à la philosophie, et à moi, chétif personnage, en particulier. Je prie encore ces mêmes dieux, s'il est vrai que le cœur des rois soit entre leurs mains,a de vouloir bien conserver ce grand et digne prince dans les sentiments de bonté dont il m'a honoré jusqu'ici, et dont je me flatte de n'être pas tout à fait indigne par la vivacité de ma reconnaissance, de mon dévouement et de mon admiration pour lui.
Cette admiration, Sire, augmenterait, s'il est possible, par la lecture que j'ai faite de la lettre charmante que V. M. vient d'écrire à M. de Voltaire.b Comme il sait toute mon amitié pour lui, et tout ce que je sens pour V. M., il n'a pas cru faire une indiscrétion de m'envoyer copie de cette lettre, dont je lui ai bien
a Proverbes de Salomon, chap. XXI, v. 1.
b Le 4 (1er) décembre 1772.