<598>l'Épître ci-jointe;c il n'y manque qu'un meilleur poëte pour mettre les matériaux en œuvre.

Vous voyez, mon cher d'Alembert, que, m'occupant de pareilles niaiseries, le poids de l'Europe, que vous me supposez porter, ne m'accable guère. Comment pouvez-vous croire qu'un souverain des anciens Obotrites s'émancipe à jouer un rôle en Europe? Je ne suis en politique qu'un polisson, qui me contente de garder mon coin, et de le défendre contre la cupidité et l'envie des grandes puissances. Je me suis ingéré, il est vrai, à vouloir rétablir la paix en Europe; l'argent de vos Velches a prévalu à Constantinople, chez les ulémas, contre des raisons plus valables que des louis; et pour toutes les rodomontades de vos compatriotes, et les prétendus mouvements que les gazetiers prétendent qu'ils feront dans le Nord, je vous assure qu'on s'en moque à Berlin tout comme à Pétersbourg et à Copenhague. Nous demeurerons très-pacifiques; personne ne pense ici à aiguiser ses couteaux, et ceux qui par étourderie voudraient se frotter à nous trouveraient à qui parler. Prenez pour vous la moitié de ce que je viens de vous écrire, et cédez le reste à ceux qui, sans doute admirateurs de mon beau style, sont curieux de me lire furtivement; ils peuvent faire courir cette lettre comme d'autres qu'ils ont répandues où bon leur semblait; et s'ils en veulent une autre, j'ai assez de loisir pour en composer une qu'ils ne montreront pas.

Sans plus vous parler de ces faquins, qui m'ennuient, je vous assure que je m'intéresse beaucoup à la conservation de Voltaire. C'est le seul grand génie de ce siècle; il est vieux, à la vérité, mais il a encore de beaux restes; il nous rappelle le siècle de Louis XIV, duquel le nôtre n'approche pas; il a le bon ton et ces agréments de l'esprit qui manquent à tous les prétendus beaux esprits de notre âge; enfin, il habite sur les confins d'une république, et il écrit librement, en observant cependant de certaines bienséances que je crois que tout écrivain doit observer, pour qu'une liberté permise ne dégénère pas en cynisme effronté.

Si vous travaillez à présent sur les traces de Fontenelle pour transmettre à la postérité les hauts faits de vos académiciens, je vous trouve à plaindre; car Fontenelle avait à parler tour à tour


c Voyez t. XIII, p. 119.