<608>joint d'autres qui lui sont personnels, et plus faits encore pour toucher un monarque philosophe : des connaissances peu communes à son âge, l'amour le plus vif pour les sciences, pour les lettres et pour l'étude, un mépris profond de toutes les frivolités qui occupent et dégradent si fort la plus grande partie de la noblesse française, une honnêteté de caractère et une simplicité de mœurs dont ses pareils ne lui offrent guère l'exemple, enfin la candeur et la vertu mêmes, jointes à un esprit juste, sage et cultivé. Tel est, Sire, M. le comte de Crillon; et je ne doute pas que s'il obtient de vous le bonheur qu'il en attend, celui de vous faire sa cour pendant son séjour dans vos États, il ne justifie tout ce que j'ai l'honneur de vous dire de lui. V. M. le trouvera digne de ses illustres ancêtres, et destiné à marcher sur leurs traces; si Henri IV donnait à l'un d'eux le nom de brave Crillon, qui est devenu comme son nom propre, j'espère que V. M., quand elle aura connu celui que j'ai l'honneur de lui présenter, l'appellera le sage et vertueux Crillon; ce nom, Sire, en vaudra bien un autre, surtout s'il lui est donné par vous.
M. le comte de Crillon oserait peut-être offrir encore à V. M. d'autres titres pris dans sa propre maison, où les actions de courage et de vertu sont héréditaires. C'était M. le duc de Crillon son père qui commandait au pont de Weissenfels dix-sept compagnies de grenadiers français dont la bravoure mérita les éloges de V. M. Mais M. le duc de Crillon mérita lui-même personnellement dans cette circonstance, par une action digne de ses aïeux, la reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent à la conservation des grands hommes. Il avait placé dans une petite île deux officiers qui observaient votre armée lorsqu'on brûlait le pont. Un des deux vint dire à M. le duc de Crillon, qui leur avait recommandé de se tenir cachés, que, s'il le voulait, ils tueraient un général qu'ils jugeaient être le roi de Prusse par le respect que les officiers lui témoignaient. M. le duc de Crillon le leur défendit;a il ne savait pas, Sire, en ce moment, qu'il préparait à son fils l'honneur qu'il espère, de voir le plus grand roi de l'Europe, et peut-être le bonheur d'en recevoir un accueil favorable.
a Voyez les Mémoires militaires de Louis de Berton des Balbes de Quiers, duc de Crillon. A Paris, 1791, p. 164 et suivantes.