71. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Le 4 octobre 1766.
Madame ma sœur,
Quelque occupation qui me survienne, il n'y en a certainement aucune que je ne quittasse volontiers pour lire et pour répondre aux lettres de V. A. R. J'en recueille soigneusement les marques d'indulgence et de bonté que vous me donnez, madame; j'en élèverais un trophée à mon amour-propre, pour peu que je voulusse le flatter, si je ne savais pas m'apprécier moi-même selon une règle plus sévère, et attribuer le reste à votre politesse infinie. Souvent je me dis à moi-même : Ce commerce de l'Électrice est charmant; ce sont les grâces réunies de son sexe, jointes à la solidité d'un homme de génie et d'esprit. Mais qu'il est dur d'ennuyer les personnes qu'on estime! Et je vous avoue, madame, que je me crois, vis-à-vis de vous, dans ce cas quelquefois; voilà ce qui m'arrête, et rend ma plume tremblante entre mes doigts.
J'en crois certainement V. A. R. sur le sujet de l'Empereur, d'autant mieux que la renommée s'accorde parfaitement avec ce qu'elle a la bonté de m'en dire. Je vous avoue, madame, que j'ai été un peu fâché que l'entrevue n'ait pas eu lieu; cela m'a transporté sur le sujet de Charles XII, et de tout ce qui s'ensuit. J'ai, entre autres défauts, une grande turpitude dont, madame, vous me permettrez que je me confesse à vous : il ne m'est échu en partage qu'un grain de foi, et cela est cause d'un soupçon d'incrédulité dont je m'aperçois toutes fois et quantes il est question de croire. J'implore le ciel pour qu'il me donne la grâce verticale, la grâce suffisante, ou la grâce efficace. Vous me direz que je suis un mauvais hérétique à brûler à tous les diables, et qu'ainsi le ciel a raison de me refuser ce qui n'est destiné que pour ses élus. J'en conviens, madame; mais de là il m'arrive (quoique je sache combien nos sens sont trompeurs) qu'il me faut voir, ou me convaincre par de bons arguments, pour me persuader. J'ai proposé le cas de la maladie de mon âme à force ex<123>perts, qui ne m'ont recommandé que des remèdes palliatifs. Excédé de cette défiance, qui m'est souvent à charge, il m'est venu dans l'esprit d'avoir recours aux reliques de madame Lodron. C'est, dis-je, une femme qui doit être au troisième ciel au moins, après tout ce qu'on a fait pour elle; si je l'invoque, reconnaissante d'un petit service que je lui ai rendu au purgatoire, elle me fera obtenir de là-haut ce que je n'ai pu arracher jusqu'ici avec mes prières. Cette affaire arrangée, alors je serai dans les règles; j'aurai le plaisir de tout croire; j'aurai des miracles pour mon édification, des prodiges tout plein pour m'y accoutumer, et des sorciers pour mes menus plaisirs. Ce plan, madame, me ravit d'aise, car alors je n'aurai plus le cœur gros d'entrevues manquées, je verrai tout des yeux de la foi, et, par-dessus cela, si, avec un grain de foi, on peut transporter une montagne, je me transporterai plus facilement moi-même : plus de chevaux de poste pour voyager, plus de portes à verrous; tous les chemins me seront ouverts, et un beau jour vous me verrez, madame, dans votre antichambre, à vos pieds. Tout ceci est fondé sur la confiance que j'ai en la sainte Lodron. Mais si son secours me manque, je suis obligé de renoncer à d'aussi belles espérances; il n'y aura que mes lettres qui pourront parvenir à votre sanctuaire, et je n'aurai d'autre consolation que de vous assurer, madame, de mon estime infinie, de tous mes sentiments, et de l'admiration avec laquelle je suis, etc.