197. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Dresde, 4 janvier 1777.
Sire,
Rentrée dans mes foyers domestiques, mon premier soin est de rendre hommage à V. M. Je ne sais comment j'ai pu me priver pendant si longtemps d'un bien qui m'est si cher; mais quand je songe que, croyant d'un jour à l'autre me rapprocher du grand Frédéric par mon retour à Dresde, j'ai pu différer d'écrire à V. M., et que je me suis privée de plusieurs de vos admirables lettres, je ne me le pardonne point. Croyez, Sire, que je suis assez punie par mon tort même, et traitez-moi selon les nobles us de vos confrères les héros, qui ont toujours excusé le sexe.
J'ai appris tout ce que le public a pu connaître de l'entrevue de V. M. avec le grand-duc. Si je suis inexacte à écrire, aucun secrétaire d'État de l'Europe n'est plus exact que moi à s'informer des nouvelles de Berlin et de Potsdam. J'ai reconnu Frédéric en tout ce qui s'est passé; il m'a paru voir Agamemnon et Achille,322-a avec la différence que le jeune héros écoutait les conseils sublimes du roi des rois, ce qu'il ne faisait guère dans Homère. J'ai tremblé à l'aventure du plafond.322-b A quoi tient, hélas! la vie des plus grands hommes, et le sort de l'univers qui en dépend! Mais ce qui m'a causé la joie la plus pure, c'est que V. M. ait si bien soutenu la peine fatigante que les grandes fêtes des cours entraînent toujours, et que depuis elle ait continué de se rétablir. J'ose l'espérer et le prédire sans inspiration ni trépied, tranquille dans un bon fauteuil de ma bibliothèque, où, au lieu des badauds de la Grèce qui se rendaient à Delphes, je vois autour de moi l'histoire des héros et les ouvrages des savants, dont aucun ne vainc Frédéric. Sa carrière illustre ne doit pas être <291>moins longue qu'elle n'est brillante et nécessaire au bonheur de l'Europe. Le cœur me le dit, Sire, et il ne me trompera pas plus sur l'avenir qu'il n'en impose à V. M. en lui réitérant les assurances de la plus haute estime et de l'admiration infinie avec laquelle je suis, etc.
322-a Voyez le commencement de l'Iliade.
322-b Pendant une fête donnée au grand-duc, quelques morceaux du plafond tombèrent. Frédéric entoura aussitôt son hôte de ses bras, et le tint ainsi embrassé jusqu'à ce qu'on sût ce qui arrivait. Cette scène se passa peut-être au château de Potsdam, où le plafond de plâtre du grand salon commençait alors à se dégrader. Voyez Manger's Baugeschichte von Potsdam, p. 412.