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97. DU MÊME.

Paris, 6 mars 1771.



Sire,

J'ai reçu, il y a environ quinze jours, des vers charmants de Votre Majesté, adressés à son confrère en royauté et en philosophie, l'empereur ou le roi de la Chine. Je dois d'abord de très-humbles remercîments à V. M. de la bonté qu'elle a eue de vouloir bien se rendre au désir que je lui avais marqué de lire ces vers, d'après l'éloge que le patriarche de la poésie française m'en avait fait. Mais je dois à V. M. des remercîments encore plus grands du plaisir que m'a procuré cette lecture. Je ne puis me refuser à celui d'en assurer V. M., quoique je voie, par la lettre charmante et très-philosophique qui accompagne ses vers, qu'elle se défie des éloges, même d'un géomètre qui n'en a jamais donné qu'à ce qu'il estime. Mais comme la meilleure manière de louer, c'est-à-dire la plus sincère, est de louer par les faits, je me bornerai à dire à V. M. qu'en lisant, même dès la première fois, son excellente Épître, j'en ai retenu, malgré moi, si elle le veut, un très-grand nombre de vers; et il me semble que le mérite des vers est qu'on les retienne. C'est même, selon moi, la pierre de touche infaillible pour les apprécier. Je prendrai donc, Sire, la liberté, tout géomètre que je suis, de dire que vos vers sont excellents, puisqu'une tête hérissée d'x et d'y trouve encore de la place pour eux, et je serai là-dessus

Dur comme un géomètre en ses opinions.587-a

Je vois que V. M. a toujours une dent secrète contre la géométrie; mais je lui répondrai ce que disait le duc d'Orléans, régent, à une de ses maîtresses qui parlait mal de Dieu : « Vous avez beau faire, madame, vous serez sauvée. » V. M. aura beau dire aussi; elle est plus géomètre qu'elle ne pense, et que bien des gens qui prétendent l'être. Tous les esprits justes, précis et clairs appartiennent à la géométrie, et en cette qualité nous espérons, Sire, que V. M. voudra bien nous faire l'honneur d'être <530>des nôtres. Il y a longtemps qu'elle a signé son engagement par ses écrits.

Tandis que V. M. m'envoyait d'excellents vers, je barbouillais de mauvaise prose que je prends la liberté de lui envoyer. C'est un discours et un dialogue587-b que j'ai eu l'honneur de lire en présence de Sa Majesté le roi de Suède, l'un à l'Académie des sciences, l'autre à l'Académie française. J'ai eu occasion, dans le discours, de rendre à V. M. l'hommage que lui doivent depuis si longtemps les sciences, les lettres et la philosophie, pour la protection dont elle les honore, et les ouvrages excellents par lesquels elle contribue à leurs progrès. Je dois rendre à tous mes confrères la justice qu'ils ont applaudi unanimement à cet endroit de mon discours; et en effet, Sire, je n'ai fait qu'exprimer faiblement, quoique avec toute la force et la vérité dont je suis capable, les sentiments profonds d'admiration, de reconnaissance et de respect dont toute la littérature française est pénétrée pour V. M. Le roi de Suède, son digne neveu, paraît vouloir marcher sur ses traces; il ne peut se proposer un plus beau modèle; ce prince emporte de France l'estime universelle, et l'attachement de tous ceux qui ont eu l'honneur de l'approcher. Son départ accéléré m'a privé du bonheur de lui faire ma cour, si ce n'est pendant quelques instants; mais ses bontés m'ont pénétré de reconnaissance. On dit qu'il doit voir V. M. en passant à Magdebourg; qu'il aura de choses à lui dire de tout ce qu'il a vu, et quelle matière de réflexions pour V. M., moitié tristes, moitié plaisantes, mais toujours très-philosophiques, et telles, en un mot, qu'elle les sait faire!

Je suis avec le plus profond respect et le plus géométrique dévouement, etc.


587-a Voyez t. XIII, p. 44.

587-b Voltaire écrit à d'Alembert, de Ferney, le 8 avril 1771 : « Je n'entendrai jamais rien dans les champs Élysées, où je compte bien aller, qui vaille votre Dialogue entre Des Cartes et Christine. Je ne sais rien de plus beau que votre éloge du roi de Prusse. Il ne vous avouera pas tout le plaisir qu'il aura eu d'être si bien peint par vous dans l'Académie des sciences; mais il le sentira de toutes les puissances de son âme. Non, personne n'a rendu la philosophie et la littérature plus respectables. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LXVII, p. 123.