119. AU MÊME.
6 octobre 1772.
M. Borrelly vient d'arriver. Il m'a remis le paquet dont vous l'avez chargé. Autant que j'en puis juger, il paraît habile et plein de bonne volonté. Je l'ai d'abord mis au fait de la besogne dont il doit être chargé; et comme, dans le plan d'éducation qui est reçu à l'Académie, il y a des méthodes qui diffèrent beaucoup des autres écoles, je les lui ai indiquées, et je ne doute pas qu'il <580>ne remplisse l'attente que donne sa bonne réputation, surtout votre suffrage. Le désir que j'ai de voir réussir ma petite institution de l'Académie des nobles me rend d'autant plus reconnaissant des moyens que vous me fournissez de la perfectionner. Plus on avance en âge, et plus on s'aperçoit du tort que font aux sociétés les éducations négligées de la jeunesse; je m'y prends de toutes les façons possibles pour corriger cet abus. Je réforme les colléges ordinaires, les universités, et même les écoles de village; mais il faut trente années pour en voir les fruits; je n'en jouirai pas, mais je m'en consolerai en procurant à ma patrie cet avantage, dont elle a manqué.
Je ne comprends en vérité rien à vos Français. Ces gens pensent-ils donc que la haute réputation où ils étaient du temps de Louis XIV était fondée sur autre chose que sur l'avantage que leur donnait sur les autres nations la culture des arts et des sciences, en y ajoutant cet air de grandeur que Louis XIV savait donner à toutes ses actions? On devrait se souvenir à Paris qu'autrefois Athènes attirait le concours de toutes les nations, et même de ses vainqueurs les Romains, qui rendaient hommage à leurs connaissances, et y venaient pour s'instruire. A présent cette ville, devenue agreste, n'est plus visitée de personne. Le même sort menace Paris, s'il ne sait pas mieux conserver les avantages dont il jouit. Vous recevrez ci-joint une lettre pour le chevalier de Chastellux; ses semblables se trouvaient autrefois abondamment en France. La noblesse, dépourvue de connaissances, n'est qu'un vain titre qui place un ignorant au grand jour, et l'expose au persiflage de ceux qui s'en amusent.
Je vois, par ce que vous me mandez, que l'Académie a ses intrigues comme la cour; des personnes nées avec un esprit inquiet tracassent partout; mais le vrai mérite surmonte tous ces obstacles; il perce, il se fait jour, il triomphe à la fin. Voilà ce qui vous est arrivé, et ce qui ne manquera pas d'arriver à M. Delille, qui est à mes yeux plus académicien que la moitié de vos Quarante. Je vois par votre apostille que vous avez placé très-honorablement mon estampe dans la compagnie de gens bien supérieurs à ce que je suis et à ce que je puis être. Je vous envoie une médaille qu'on vient de frapper par rapport <581>à un événement qui intéresse les Sarmates et je ne sais qui.645-a Je voudrais que c'eût été à l'occasion de la paix que cette médaille se fût faite; mais quoi qu'on machine, quoi qu'on intrigue, cette paix se fera pourtant, et, s'il plaît au fatum, bientôt; je me flatte qu'alors, selon que me l'a fait espérer M. Borrelly, j'aurai le plaisir de vous voir, et de pouvoir vous assurer moi-même de toute l'estime que j'ai pour vous. Sur ce, etc.
645-a Voyez t. XXIII, p. 247.