<107>plus forte que la raison, et ils se sont tenus dans une inaction que le public a fort désapprouvée. Le samedi 30 mai, jour de la mort, l'abbé Gaultier, quelques heures avant ce fatal moment, offrit encore ses services par une lettre qu'il écrivit à l'abbé Mignot; celui-ci alla sur-le-champ chercher l'abbé Gaultier et le curé de Saint-Sulpice, qui vinrent ensemble. Le curé s'approcha du malade, et lui prononça le mot de Jésus-Christ; à ce mot, M. de Voltaire, qui était toujours dans l'assoupissement, ouvrit les yeux, et fit un geste de la main comme pour renvoyer le curé, en disant : « Laissez-moi mourir en paix. » Le curé, plus modéré en cette occasion et plus raisonnable qu'à lui n'appartenait, se tourna vers ceux qui étaient présents, et dit : « Vous voyez bien, messieurs, qu'il n'a pas sa tête. » Il l'avait pourtant très-bien en ce moment; mais les assistants, comme vous croyez bien, Sire, n'eurent garde de contredire le curé. Ce capelan se retira ensuite, et dans les propos qu'il tint à la famille, il eut la maladresse de se déceler, et de prouver clairement que toute sa conduite était une affaire de vanité. Il leur dit qu'on avait très-mal fait d'appeler l'abbé Gaultier, que cet homme avait tout gâté, qu'on aurait dû s'adresser à lui seul, curé du malade; qu'il l'aurait vu en particulier et sans témoins, et qu'il aurait tout arrangé. Il persista néanmoins à lui refuser la sépulture ecclésiastique, et donna seulement son consentement par écrit que M. de Voltaire fût porté ailleurs. Si la profession de foi avait été donnée directement au curé, il se serait sûrement rendu plus facile; il aurait fait trophée de cette déclaration comme d'une victoire par lui remportée sur le patriarche des incrédules; mais comme cette profession avait été donnée à un pauvre galopin de prêtre, l'archevêque et le curé ont mieux aimé dire que cette déclaration était une moquerie que de laisser au galopin l'honneur de la victoire.

M. de Voltaire mourut le même jour, à onze heures du soir, ayant encore proféré quelques mots, mais avec peine, et ayant marqué dans toute sa maladie, autant que son état le lui permettait, beaucoup de tranquillité d'âme, quoiqu'il parût regretter la vie. Je l'avais encore vu la veille de sa mort, et sur quelques mots d'amitié que je lui disais, il me répondit en me