155. DE D'ALEMBERT.
Paris, 17 mai 1775.
Sire,
Je viens de recevoir le nouveau présent dont Votre Majesté a bien voulu m'honorer, et je ne perds pas un moment pour lui en témoigner ma vive reconnaissance. Ce buste de M. de Voltaire, Sire, m'est encore plus cher par la main auguste et chérie de qui je le tiens que par l'ancien et illustre ami dont il me retrace si bien l'image. La ressemblance est parfaite, et la finesse de l'exécution ne laisse rien à désirer. L'inscription Immortalis est digne, par sa vérité, sa simplicité et sa noblesse, du grand homme à qui elle est consacrée, et du plus grand homme qui l'a imaginée. Il ne manque, Sire, à cette inscription que deux mots que je prendrai la liberté d'y ajouter, avec la permission de V. M.; c'est que cet homme immortel m'a été donné par un autre homme immortel, ab immortali datus. Puisse cet homme immortel joindre à tous ses titres de gloire si bien mérités celui de pacificateur du Nord et de l'Europe! Puisse-t-il, par son ascendant et par son influence si puissante, éloigner la guerre dont on dit que les taureaux menacent nous autres grenouilles! Les pauvres Velches, en particulier, Sire, tout Velches qu'ils sont, n'ont pas besoin de nouveaux malheurs; V. M. aura sans doute appris les troubles qu'il y a eu en différents endroits du royaume, au sujet de la cherté du pain, troubles dont cette cherté n'a été que le prétexte, car le pain a été beaucoup plus cher sous le ministère précédent, sans que personne se soit plaint; mais les fripons qui faisaient sous ce ministère le commerce du blé au préjudice du peuple ne peuvent souffrir un ministre qui ne les laisse pas friponner, et ils ont prodigué l'or, les manœuvres perfides et les infamies de toute espèce pour culbuter, s'ils le pouvaient, le plus honnête homme et le plus vertueux qui ait jamais été à la tête des finances. Heureusement notre jeune roi, qui aime la vertu, et à qui les fripons n'en imposent pas, a connu le principe de tous ces troubles, et il y a mis ordre avec une fermeté, un courage et un calme dont tous les bons citoyens ne doivent parler qu'avec reconnaissance