<140>rance; il m'a conduit d'abstraction en abstraction dans un labyrinthe d'obscurités où mon pauvre esprit se serait perdu, si notre bon Suisse M. Meriana ne m'avait retiré des sublimes régions infinitésimales pour me remettre sur ce globe abject et brut où je végète. Enfin, M. Achard m'a appris ce que c'est que l'air fixe, et il m'a fait convenir sans peine que la matière a une infinité de propriétés qui ont échappé jusqu'ici à notre connaissance, et que ce ne sera qu'en suivant Bacon, à force de faire des expériences, que nous pourrons, avec le temps, étendre de quelques degrés la sphère étroite de nos connaissances. Malheureusement les premiers principes des choses demeureront à jamais hors de la portée de notre faible pénétration. Tel est en abrégé le petit cours académique que j'ai fait durant ma maladie. Cela ne valait pas la peine de le communiquer au sublime Anaxagoras; non sans doute; si j'avais eu quelque chose de plus intéressant à lui apprendre, je l'aurais fait.

Sur ce, etc.

211. DE D'ALEMBERT.

Paris, 29 février 1780.



Sire,

Les deux lettres que j'ai reçues de Votre Majesté à peu de jours l'une de l'autre, et qui ont été assez longtemps en route (car je ne les ai eues qu'à trois semaines de date), sont venues bien à propos pour calmer l'inquiétude où m'avaient mis des propos hasardés et indiscrets sur la santé de V. M. M. le baron de Goltz m'avait, il est vrai, fort rassuré en me certifiant le peu de fondement de ces mauvaises nouvelles. Mais, Sire, on craint d'autant plus, qu'on aime davantage; et j'avais besoin que V. M. m'assurât elle-même de son état, non seulement en daignant entrer avec moi dans quelque détail sur un sujet qui m'intéresse si vivement, mais en m'écrivant deux lettres, dont l'une, par son ex-


a Voyez t. XIX, p. 219, et t. XXIII, p. 240.