<150>Nous avons ici un véritable génie de mécanicien; il s'appelle Hermite;b fécond en inventions ingénieuses et utiles, il ne lui manque que de la célébrité; sa simplicité et sa modestie relèvent autant son mérite que ses connaissances. Si dans un pays on pouvait découvrir tous les talents que la nature se plaît à distribuer au hasard, et qu'on pût employer chacun dans son genre, ce pays deviendrait bientôt le premier de l'Europe. Mais que de sagacité, de soins infinis et de patience faudrait-il pour de telles découvertes! Le fatum s'est réservé la direction de nos destinées. A bien examiner la chose, nous y avons moins de part que notre orgueil ne nous en attribue.
J'en viens à présent au buste de Voltaire, dont je vous prie de reculer l'envoi jusqu'au mois de septembre, où tout sera exactement payé. La lettre que vous avez écrite à Catt m'a fait bien du plaisir. Rapportez-vous-en à la réponse que vous recevrez de lui. A notre âge, il n'y a pas de moments à perdre; ou il faut se voir vite dans ce monde-ci, ou se donner rendez-vous dans la vallée de Josaphat, et vous savez ce qui s'y passe. En moins d'un mois, la mort nous a enlevé, ici et dans notre voisinage, quantité de personnes distinguées et connues : la Princesse de Prusse, son frère le duc de Brunswic, ma nièce la duchesse de Würtemberg, l'électrice douairière de Saxe, le prince et la princesse Hatzfeld, et le prince de Mansfeld avec son fils.a Une bataille sanglante et meurtrière n'en aurait pas plus emporté à la fois. Si donc un vieillard septuagénaire a hâte de vous voir, ne vous en étonnez point; c'est pour vous assurer, avant de
b Ce mécanicien nous est aussi inconnu que le physicien Célius, dont Frédéric parle avec éloge dans ses lettres au comte Algarotti et à Voltaire, du 4 décembre 1739, t. XVIII p. 8, et t. XXI, p. 378.
a La Princesse de Prusse (t. IV, p. 262) mourut le 13 janvier 1780; le duc Charles de Brunswic (t. VI, p. VI et 252), le 26 mars; la duchesse Élisabeth-Frédérique-Sophie de Würtemberg, née princesse de Baireuth (t. VI, p. 200), le 6 avril; l'électrice douairière Marie-Antonie de Saxe (t. XXIV, p. IV et 41-366), le 23 avril; François-Philippe-Adrien, prince de Hatzfeld-Trachenberg, était mort le 5 novembre 1779; sa femme Bernardine-Marie-Thérèse mourut le 7 avril 1780; Henri-Paul-François, prince de Fondi et comte de Mansfeld, le 15 février, et son fils, Joseph-Wenceslas-Jean-Népomucène, le 31 mars suivant.