<168>je placerai son effigie dans notre sanctuaire des sciences, où il pourra rester à demeure;b au lieu que si on le mettait dans une église, son ombre en serait indignée, sans compter les hasards que cette statue aurait à courir après ma mort, où peut-être le faux zèle porterait quelque prêtre, dans la rage de son fanatisme, à mutiler ou à briser le simulacre de l'apôtre de la tolérance.

Je retourne maintenant au commencement de votre lettre, où il était question de nos nerfs, pour vous apprendre que j'ai eu la goutte quatre semaines de suite, que j'ai beaucoup souffert, et qu'à force de régime j'ai chassé le marasme et la maladie; mes doigts ne sont point engourdis, et s'il est question de prêtres, je répandrai avec mon encre sur eux les flots de ma bile et de mon fiel hérétique. Allons, mon cher Anaxagoras, recueillez vos forces, ranimez ou ressuscitez votre belle humeur. Sur ce, etc.

227. DE D'ALEMBERT.

Paris, 15 décembre 1780, anniversaire de la bataille
de Kesselsdorf.



Sire,

Chaque lettre dont Votre Majesté m'honore réveille en moi les sentiments de reconnaissance, de vénération et de tendresse dont je suis depuis si longtemps pénétré pour elle; mais quelque profonds, Sire, que ces sentiments soient en moi, ce ne sont pas ceux dont je suis en ce moment le plus occupé. Un sentiment qui m'est plus cher encore, s'il est possible, parce qu'il est plus personnel à V. M., pénètre et remplit mon âme depuis la nouvelle que nous venons de recevoir de la mort de l'Impératrice-Reine.a Cette nouvelle, Sire, si intéressante dans tous les temps par les événements qui peuvent la suivre, me paraît, dans les circonstances


b Voyez J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. III, p. 128, no 26.

a Marie-Thérèse mourut le 29 novembre 1780.