<23>qu'elles sont; ce spectacle remue le cœur et les entrailles; mais je me refroidis aussitôt que l'art étouffe la nature. Je parie que vous pensez : Voilà les Allemands; ils n'ont que des passions esquissées; ils répugnent aux expressions fortes, qu'ils ne sentent jamais. Cela se peut; je n'entreprendrai pas de faire le panégyrique de mes concitoyens. Il est vrai qu'ils ne ruinent les moulins ni ne gâtent les semailles en se plaignant de la cherté des blés; ils n'ont point fait jusqu'ici de Saint-Barthélémy, ni de guerres de la Fronde; mais comme le monde s'éclaire de proche en proche, nos beaux esprits espèrent que tout cela viendra avec le temps, surtout si les Velches veulent bien nous honorer de la friction de leurs esprits. Parmi ces Velches, j'excepte toujours les Voltaire et les d'Alembert, desquels je serai l'admirateur jusqu'au moment où la nature me fera rentier dans la masse dont elle m'a tiré pour me produire.b Sur ce, etc.
160. DE D'ALEMBERT.
Paris, 13 août 1775.
Sire,
M. de Voltaire vient de m'écrire, pénétré de reconnaissance des bontés de V. M. pour M. d'Étallonde Morival, et de la grâce que vous venez d'accorder à ce jeune homme, si cruellement et si bêtement persécuté par les fanatiques du pays des Velches. La protection, Sire, que vous accordez à M. d'Étallonde est digne du génie et de l'âme de V. M., et sera la honte éternelle des barbares absurdes qui n'ont pas rougi de le condamner à perdre la tête pour n'avoir pas salué une procession de capucins. M. de Voltaire, et tous ceux qui ont vu ce jeune homme à Ferney, assurent qu'il est bien digne des bontés de V. M. par la noblesse de ses sentiments, par la douceur de son caractère et de ses mœurs, et par son application à s'instruire. J'espère que M. d'Étallonde,
b Voyez t. VI, p. 243; t. X, p. 235; et t. XXIV, p. 491.