<244>voudrais pouvoir vous épargner moi-même, fût-ce aux dépens de ma vessie!
Je suis ravi que V. M. ait jugé M. le marquis d'Esterno tel que j'avais eu l'honneur de le lui annoncer. J'ai tout lieu de croire qu'elle se confirmera dans ce jugement, à mesure qu'elle le connaîtra davantage, et qu'elle le trouvera comme il est, sage, instruit, honnête et modeste.
J'ignore à qui est la faute du marnais succès de nos batteries flottantes; j'ignore aussi par quelle fatalité cinquante vaisseaux, tant français qu'espagnols, en ont laissé passer et repasser, sans coup férir, trente-quatre anglais deux ou trois fois à leur barbe; mais je sais que ce maudit siége de Gibraltar, si ridiculement entrepris, et plus ridiculement prolongé, a été la principale cause de nos malheurs ou de nos sottises, a prolongé la guerre de deux ou trois ans, et retardé d autant la paix avantageuse que nous aurions pu faire. Enfin, grâce à Dieu, et selon même toute apparence, on nous fait espérer cette paix; on la dit même arrêtée et conclue. Que le destin en soit loué, pourvu que la grande Catherine et le César Joseph ne suscitent pas une nom elle guerre par l'invasion de la Turquie! Puisse surtout, Sire, cet aveugle destin ne vous pas engager dans cette guerre nouvelle, inutile à votre gloire, et funeste à votre santé et à votre repos! Nous avons lu avec édification dans les nouvelles publiques la déclaration de V. M. au clergé catholique de Silésie,a le Te Deum que l'Église romaine a fait chanter pour remercier Dieu d'avoir trouvé en vous un protecteur,b et l'émigration d'une volée de religieuses autrichiennes qui sont venues vous demander asile.b Assurément, quand V. M. a recommandé la tolérance aux souverains, on peut
a L'empereur Joseph II ayant aboli six cent vingt-quatre couvents dans ses Etats, Frédéric donna à son clergé de Silésie la déclaration du 26 août 1782, portant qu'il ne prendrait aucune mesure préjudiciable à l'Eglise catholique, si ses adhérents se conduisaient en fidèles sujets. Cette déclaration, adressée à l'évèque suffragant (Weih-Bischof) de Rothkirch, se trouve dans J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, t. III, p. 233, et dans le journal (de C.-R. Hausen) Historisches Portefeuille, 1782, t. II, p. 1468-1471.
b Ces deux faits nous sont inconnus. Voyez pourtant la lettre de Frédéric à Voltaire, du 9 juillet 1777, t. XXIII, p. 451 et 452, où le Roi blâme l'intolérance autrichienne.