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SECOND APPENDICE.

D'ALEMBERT A MADAME DU DEFFAND.a

Sans-Souci, 25 juin 1763.

Vous m'avez permis, madame, de vous donner de mes nouvelles et de vous demander des vôtres; je n'ai rien de plus pressé que d'user de cette permission. Je suis arrivé ici le 22, après un voyage très-heureux et très-agréable; ce voyage n'a pas même été aussi fatigant que j'aurais pu le craindre, quoique j'aie souvent couru jour et nuit. Mais le désir que j'avais de voir le Roi, et l'ardeur de le suivre depuis Gueldre, où je l'ai trouvé,b jusqu'ici, m'a donné de la force et du courage. Je ne vous ferai point d'éloges de ce prince, ils seraient suspects dans ma bouche; je vous en raconterai seulement deux traits qui vous feront juger de sa manière de penser et de sentir. Quand je lui ai parlé de la gloire qu'il s'est acquise, il m'a dit avec la plus grande simplicité qu'il y avait furieusement à rabattre de cette gloire; que le hasard y était presque pour tout, et qu'il aimerait bien mieux avoir fait Athalie que toute cette guerre. Athalie est en effet l'ouvrage qu'il aime et qu'il relit le plus; je crois que vous ne désapprouverez pas son goût en cela, comme sur tout le reste de notre littérature, dont je voudrais que vous l'entendissiez juger. L'autre trait que j'ai à vous dire de ce prince, c'est que, le jour de la conclusion de cette paix si glorieuse qu'il vient de faire, quelqu'un lui disant que c'était là le plus beau jour de sa vie : « Le plus beau jour de la vie, répondit-il, est celui où on la quitte. » Cela revient à peu près, madame, à ce que vous dites si souvent, que le plus grand malheur est d'être né.

Je ne parlerai point, madame, des bontés infinies dont ce prince m'honore; vous ne pourriez le croire, et ma vanité vous épargne cet


a Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes de d'Alembert, Paris, Charles Pougens, 1799, t. I, p. 197-199. Voyez t. XXIV, p. 419.

b Le 11 juin 1763.