<377>L'Académie française n'a reçu aucun discours, et elle est obligée de remettre le prix à une autre année. J'en ai été affligé, non pour la gloire de M. d'Alembert, mais pour notre littérature. La plupart de ceux qui travaillent ordinairement pour ces prix avaient des obligations de plus d'un genre à M. d'Alembert, et leur silence les expose au reproche d'ingratitude, à moins qu'ils ne permettent de le regarder comme un aveu de leur ignorance. Cette ignorance est la plaie secrète de notre littérature et de notre philosophie. On fait des phrases, parce qu'on n'a point d'idées; on écrit d'un style extraordinaire, parce qu'on n'a que des choses communes à dire, et on débite des paradoxes, faute de pouvoir trouver des vérités qui ne soient pas triviales.

Je suis avec le plus profond respect, etc.

7. AU MARQUIS DE CONDORCET.

Potsdam, 9 août 1785.

J'ai reçu la médaille de M. d'Alembert que vous avez eu la bonté de m'envoyer. J'aurais voulu qu'on lui eût laissé sa perruque comme il la portait d'ordinaire, parce que rien ne contribue plus à la ressemblance que de graver les hommes dans l'ajustement où on était accoutumé de les voir.a Il est singulier que M. de Saint-Remy ait fondé un prix pour les médailles des philosophes, et que beaucoup de gens de lettres qui avaient des obligations à M. d'Alembert se soient dispensés d'en faire l'éloge. Rien de plus rare dans le monde que la reconnaissance; toutefois la mémoire de M. d'Alembert n'y perd pas grand' chose, et il vaut mieux n'être point loué que de l'être mal. Les beaux jours de la littérature sont passés; il n'y a que des trônes vacants, et peu de postulants dignes de s'y placer. Vous qui avez été l'élève du grand homme que nous regrettons, vous seul pouvez lui succéder. Sur ce, etc.


a Voyez ci-dessus, p. 174.