<40>bons desseins, c'est la faute de ceux qui les ont rappelés : il faudrait les borner à l'objet de leur destination; ils sont payés pour juger les procès, et non pas pour tenir leurs souverains sous tutelle. Vous verrez que peut-être la cour sera réduite à les exiler une seconde fois. Vous m'avertissez un peu tard que Voltaire n'est ni marquis, ni intendant; je l'en avais déjà félicité; il n'y a pas de mal, il s'apercevra facilement que mon ignorance est involontaire. Si l'on ment d'une chambre à une autre, on peut débiter de même bien des mensonges, à Potsdam, de ce qui se fait à Paris.

Vous vous plaignez de la difficulté de remplir de bons sujets votre Académie; c'est la faute du siècle. Nous avons beaucoup plus de gens médiocres qu'il n'y en avait dans le siècle passé; mais il nous surpassait en génies; il semble que le moule en soit cassé. Lorsque la France aura perdu le Patriarche de Ferney et un certain Anaxagoras, il ne lui restera plus personne. Pour M. Wéguelin, dont je connais le mérite, je ne négligerai pas, en temps et lieu, d'avoir égard à votre recommandation; il serait peut-être un Montesquieu, si son style répondait à la force de ses pensées.

Je vous rassurerai facilement sur l'appréhension que vous causent les Anglais animés des fureurs du dieu Mars; s'ils ont la fièvre chaude, il n'y a pas d'apparence que l'épidémie franchisse les mers pour se communiquer au continent; leurs guinées l'ont fait passer à quelques principi di Germania bisognosi di scudi.a Sans doute cela s'arrêtera là, et la guerre de l'Amérique sera pour les Européens ce qu'étaient pour les anciens Romains les combats des gladiateurs.

Je fais des vœux pour que vous soyez promptement délivré de votre sciatique. Je ne renonce pas encore à la consolation de vous revoir dans ce monde-ci, assuré que nous ne nous reverrons plus dans un autre; vous ne devez pas y trouver à redire. Quand on a fait votre connaissance, on voudrait jouir de votre présence plus souvent, et toujours davantage. En attendant, je prie Dieu, etc.


a Voyez, t. VI, p. 131 et 132, et t. XXIII, p. 429.