13. DU COMTE DE MANTEUFFEL.
Berlin, 22 mars 1736.
Monseigneur,
La lettre que Votre Altesse Royale a eu la bonté de m'écrire le 18 de ce mois m'a causé des mouvements tout aussi peu exprimables que ceux qui avaient apparemment saisi saint Paul, du ravissement duquel elle a pensé faire le troisième point des instructions qu'elle a bien voulu me donner. La seule différence que je trouve à cet égard entre l'apôtre et moi (excusez, monseigneur, la témérité de cette comparaison), c'est que la joie qu'il eut d'être témoin de toutes ces belles merveilles, qui jetèrent peut-être son esprit dans un saint dérangement, que sa joie, dis-je, était sans doute uniforme et continuelle tant que son extase dura, et que la mienne est souvent interrompue par la crainte que je ne puis m'empêcher d'avoir que l'intention de V. A. R. n'ait été de se divertir du pauvre chrétien qu'elle a peint d'un pinceau si flatteur, à la fin de sa lettre.
Il est vrai que l'amour-propre, dont malheureusement les chrétiens ne sont pas plus exempts que tout le reste du genre humain, me fournit des armes pour combattre cette crainte. Persuadé que je suis que V. A. R. trouverait au-dessous d'elle de penser le contraire de tout ce qu'elle en dit de trop, je crois que c'esta un effet de l'extrême bonté qu'elle a pour lui. Qui qu'il soit, ce chrétien, j'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il en est du portrait que V. A. R. a daigné en faire comme de ceux que ...,b l'Apelles de Berlin, fait de nos dames. Ils sont tous très-connaissables, quoiqu'ils soient en même temps infiniment plus beaux que les originaux.
Bien que je me crusse muni d'une effronterie ferrée à glace, je me sens embarrassé à deviner, comme V. A. R. me l'ordonne, l'objet qu'elle a pris la peine de peindre d'un coloris éblouissant. J'ose cependant vous demander, monseigneur, quoique en rou-
a Les mots je crois que c'est manquent dans le manuscrit.
b Probablement Antoine Pesne. Voyez t. XIV, p. IV et V, no VII, et p. 34-37.