<445>manda à être relâché sur sa parole, afin qu'il pût aller faire ses adieux à une maîtresse qu'il avait en je ne sais quelle autre ville. Cette permission lui ayant été refusée, un ami la lui fit obtenir en se faisant emprisonner à sa place. Le terme qu'on lui avait fixé étant écoulé sans que l'autre eût reparu, les juges résolurent d'exécuter l'arrêt de mort sur le répondant, qui semblait ravi de sauver les jours de son ami en mourant pour lui. Mais au jour de l'exécution, et dans l'instant même qu'on le menait au supplice, le véritable condamné arriva tout essoufflé, et dégagea son ami en se niellant volontairement entre les mains de l'exécuteur. Je ne sais ce qui en arriva de plus; mais je crois que les deux amis furent pardonnés; au moins méritaient-ils bien de l'être.

J'ai ouï raconter dans ma jeunesse un cas encore plus singulier, arrivé de mes jours en Angleterre. Certain comte étranger y était accusé d'assassinat. Le fait était avéré. Il ne put s'en laver qu'en soutenant devant la justice qu'un de ses officiers, qui avait fait le coup, l'avait fait à son insu. Il eût. été pendu, si cet officier, qui était un capitaine nommé, si je ne me trompe. Baumann, et natif de Cöslin en Poméranie, si cet officier, dis-je, avait voulu se sauver lui-même, en confessant la vérité. Les commissaires tentèrent toutes sortes de moyens pour la lui arracher. Les indices étaient convaincants. Il n'y manquait que l'aveu formel du prisonnier. Détestant ou admirant, pour mieux dire, l'obstination du capitaine, un des juges lui dit qu'il changerait apparemment de langage quand il se verrait sur la charrette. L'accusé ne dit rien à ce défi. Mais quand il fallut effectivement monter dans cette voiture fatale, se tournant vers ledit magistrat, qui y était présent : « Eh bien, dit-il en y montant gaîment, eh bien, est-ce que je change de langage? » En effet, il n'en changea pas; il mourut sans rien avouer, et son maître fut remis en liberté. On prétend que les Anglais d'alors furent si charmés de la fermeté de ce Poméranien, qu'ils pensèrent le naturaliser après sa mort.

Je n'allègue pas ces exemples comme étant conformes à ce qu'on appelle morale chrétienne, qui défend d'attenter directement ou indirectement à sa propre vie, mais pour montrer jusqu'où la seule idée de la vertu peut pousser les hommes qui se la sont bien imprimée.

5o Ce que fit Louis XII en refusant, après son avénement au trône, de venger les injures qu'il avait reçues comme duc d'Orléans, est sans doute digne d'éloges. Mais ce n'est pas lui rendre assez de justice, ce me semble, que de dire que sa modération était d'autant plus louable, qu'il avait le pouvoir de satisfaire à sa vengeance; à peser cette louange sur la balance d'un Quinze-Vingt, il me semble que ce serait réduire le mérite d'un souverain à fort peu de chose