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23. AU COMTE DE MANTEUFFEL.

Camp de Wehlau, 17 juillet 1786.



Mon cher Quinze-Vingt,

Hélas! faut-il que je vous écrive d'un camp de paix, et que jamais je ne puisse dater mes lettres d'un champ de bataille, ni des tranchées? Ne ressemblerai-je de ma vie qu'à ces épées qui restent éternellement dans les boutiques des fournisseurs, et qui se rouillent au clou où elles sont suspendues? Voilà des réflexions qui ne sont pas conformes à votre système, mais qui le sont fort au mien.

J'apprends que le Roi ne passera pas, à son retour, par votre terre, ce qui me fait beaucoup de peine. J'espère cependant de vous voir à mon retour à Berlin, qui sera d'aujourd'hui en trois semaines. Au reste, il y a très-peu de nouvelles à vous dire de ce pays-ci; l'on y médit un peu des Russiens, un peu des Saxons; et tout ce que l'on en dit n'est pas satire, mais pour la plupart pure vérité. Les Polonais n'aiment pas autrement ces deux nations, et je crois qu'ils se seraient fort passés de cet amour de la justice qui a porté Sa Majesté Czarienne et Son Altesse Sérénissime à les subjuguer. Les Saxons, selon eux, font les tranquilles ménades;a mais les Russiens font les maîtres, à telles enseignes que la cour de Pétersbourg doit actuellement être plus nombreuse en Polonais que celle de Varsovie. Le grand A...... ne serait-il pas à peu près dans le cas de Théodore Ier, roi de Corse? Ma foi, ma plume m'échappe, et si elle en dit trop, prenez-vous-en à la liberté polonaise, qui, chassée de son pays, cherche son asile où elle le trouve; ma plume peut-être, en ce moment, a profité de son émigration, et à moins que la liberté ne rentre en son pays, je crains fort de ne pouvoir m'en défaire. C'est cependant avec ce même caractère de liberté et de vérité que je vous réitère les assurances de la parfaite estime avec laquelle je suis à jamais, etc.


a Voyez Boileau, Satire X, v. 393.