<48>et si sacré pour moi. J'écrivais il y a quelques annéesa à V. M., dans un moment où ma frêle machine dépérissait de jour en jour, que je ne désirais plus rien qu'une pierre sur ma tombe, avec ces mots : Le grand Frédéric l'honora de ses bontés et de ses bienfaits. Cette pierre et ces mots sont aujourd'hui, Sire, bien plus qu'autrefois, le seul désir qui me reste; la vie, la gloire, l'étude même, tout est devenu insipide pour moi; je ne sens que la solitude de mon âme, et le vide irréparable que; mon malheur y a laissé. Ma tête, fatiguée et presque épuisée par quarante ans de méditations profondes, est aujourd'hui privée de cette ressource qui a si souvent adouci mes peines. Elle me laisse tout entier à ma mélancolie, et la nature, anéantie pour moi, ne m'offre plus ni un objet d'attachement, ni un objet même d'occupation. Mais, Sire, pourquoi vous entretenir si longtemps de mes maux, lorsque vous avez à soulager ceux de tant d'autres? Pourquoi vous faire ce détail douloureux, lorsque je ne devrais vous parler que des lauriers que vous cueillîtes il y a seize ans, à pareil jour, dans les plaines de Liegnitz? Pourquoi vous parler enfin de mes tristes intérêts, au milieu des grands intérêts qui vous occupent? Puissent ces intérêts, Sire, satisfaits et remplis, ajouter encore à votre gloire et à l'éclat de votre règne! Puisse la nature, qui vous a fait le plus grand des rois, vous rendre encore le plus heureux des hommes! Puisse-t-elle ajouter à vos jours tous ceux que je voudrais qu'elle retranchât aux miens! Puissé-je enfin, en me traînant bientôt aux genoux de V. M., répandre dans son sein mes dernières larmes, et mourir entre ses bras, plein de reconnaissance pour elle, après avoir joui encore une fois du bonheur de la voir et de l'entendre, de la trouver sensible à ce qui pénètre et remplit mon âme, de l'assurer surtout de la tendre vénération qu'elle m'a depuis si longtemps inspirée, et qui est en ce moment plus juste et plus profonde que jamais! C'est avec ce sentiment que je serai tout le reste de ma vie, etc.


a Le 12 août 1770. Voyez t. XXIV, p. 551.