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30. AU MÊME.

(Camp de Semonitz) ce 16 (septembre 1745).



Mon cher Rottembourg,

Je ne sais par quel hasard je ne reçois que ce moment la lettre du 13 que vous m'avez écrite; elle a voyagé trois jours pour venir de Hulula à Semonitz. Assurément le porteur n'avait pas appris à marcher des dieux d'Homère : ils faisaient trois pas, et ils étaient au bout de la terre.a

Je vous plains beaucoup de ce que vous souffrez tant de votre colique néphrétique. Le médecin dit que cela passera, et que si ensuite vous voulez le laisser faire, il se flatte de vous soulager considérablement pour l'avenir par des remèdes qui conservent les reins, les nettoient, et déblayent le sang, qui, par un mélange vicieux, est la cause de l'engendration de la pierre.

Je vous suis bien obligé de tous les soins que vous prenez de contenter mes petites fantaisies; je ferai payer l'argent que vous désirez le 10 du mois d'octobre, pourvu que vous vouliez me dire à qui.

Mes lettres m'inspirent de la patience; j'ai reçu hier tant d'assurances positives de la bonne foi de certaines gens, que je dois absolument m'y fier, à moins que de penser avec Biaise Pascal que la terre est une affreuse prison peuplée par de misérables scélérats, tous sans foi et sans honneur.b Le roi de France a quitté l'armée pour madame de Pompadour et pour Paris. Le siége de Nieuport doit tirer vers sa fin, et l'on croit que le comte de Saxe finira sa campagne par la prise d'Ath et de Bruxelles.c

Nous quitterons notre camp après-demain pour passer l'Elbe. Je souhaite que la marche ne vous fasse aucun mal. Gardez encore demain la chambre, quand même vous vous porteriez bien, pour amasser quelques forces et pour prévenir les récidives.


a Voyez t. II, p. 49.

b Pensées de Pascal, première partie, article VII, Misère de l'homme. I.

c Voyez notre t. III, p. 112.