<62>natisme qui exerce sa rigueur sur une femme mourante, qui l'empêche de voir ses amis et de mourir comme elle veut? Je ne reviens point de mon étonnement. Oui, la France a des philosophes; mais je soutiens que le gros de la nation est plus superstitieux qu'aucun autre peuple de l'Europe; cette fougue s'échappe, comme dans le procès de Calas, de Sirven, de La Barre; ce qui s'est passé à Toulon à l'égard de d'Argens, les cris du public au sujet de Necker, enfin cent exemples font connaître que le funeste levain du fanatisme agit encore en France, et que ce sera le dernier pays de l'Europe où il se conservera. Je bénis la fatalité de ce que l'Allemagne devient de jour en jour plus tolérante; ce zèle pernicieux, cause de tant de scènes sanglantes, s'éteint, et personne ne demande à ceux avec lesquels il vit quelle est leur religion.a Voilà ce qui fait que l'Allemagne mérite que le philosophe d'Alembert vienne jeter un coup d'oeil sur elle. Je me réjouis d'autant plus de son apparition, que ce sera pour lui une diversion à sa douleur, et pour moi une grande satisfaction de le voir.
J'ai eu l'érésipèle à la jambe, où il s'est formé un gros abcès sous le genou; j'ai été obligé de le faire opérer; la plaie se fermera dans quelques jours. Vous devinez juste, que mon intention est d'être utile à ma patrie, ainsi qu'à mes contemporains, pendant le peu de temps que j'aurai à vivre; le devoir de l'homme est d'assister ses semblables en tout ce qui dépend de lui; c'est l'abrégé de la morale, et un cœur bien placé sera mécontent de lui-même, s'il ne remplit pas ce devoir. Je souhaite de tout mon cœur que votre chagrin diminue, que votre santé se raffermisse, pour que je puisse assurer cet été le cher Anaxagoras de toute mon estime. Sur ce, etc.
P. S. Voltaire m'écrit une lettre toute mélancolique; il se dit accablé de malheurs; je vous prie de m'expliquer ce que c'est.b
a Voyez t. XXIII, p. 451-453.
b Voyez, l. c, p. 434-436, la lettre de Voltaire à Frédéric, du 8 novembre 1776, et la réponse du Roi, du 25.