193. DE D'ALEMBERT.
Paris, 27 novembre 1777.
Sire,
M. Grimm, à son arrivée à Paris, m'a remis le paquet dont Votre Majesté l'avait chargé pour moi. J'ai lu avec avidité l'excellent écrit qu'il contenait, et je voulais en faire sur-le-champ mes très-humbles remercîments à V. M.; mais j'ai pensé que, ayant eu l'honneur de lui écrire il y a peu de temps, ce serait l'importuner bien souvent de mes lettres, et qu'elle a mieux à faire que de lire fréquemment mes barbouillages. J'ai mieux aimé employer ce temps à lire, à relire et à faire lire à ceux qui en sont dignes un ouvrage si digne lui-même de V. M., si plein des plus excellents principes de gouvernement, écrit avec tant de raison, d'esprit et d'élégance, et dont V. M. prouve combien les préceptes sont sages, par le soin et les succès avec lesquels elle les pratique. Votre conduite, Sire, et l'exemple que vous donnez aux autres souverains, sont encore supérieurs aux sages et utiles leçons qu'ils peuvent puiser dans vos écrits. Puissiez-vous donner encore longtemps l'exemple et le précepte!
J'ai eu le malheur de perdre il y a un mois madame Geoffrin,a la seule véritable amie qui me restât; depuis la perte de l'amie avec laquelle je passais toutes mes soirées, j'allais, pour adoucir ma peine, passer les matinées avec madame Geoffrin, dont l'amitié était ma ressource. Je ne sais plus que faire à présent de mes soirées ni de mes matinées, et tout ce qui les occupe n'est que du remplissage. Je demande pardon à V. M. de lui parler encore de moi, et je crains d'abuser de ses bontés.
Quand j'ai eu l'honneur de proposer à V. M. la question importante : S'il peut être utile de tromper le peuple? mon intention n'était pas précisément qu'elle ordonnât à son Académie de traiter ce sujet, mais qu'elle le fît proposer par la classe métaphysique pour sujet du prix; ce qui ne sera possible que pour le sujet prochain, puisqu'il y en a déjà un de proposé, sur lequel malheureusement on ne peut revenir. Puisque V. M. veut bien
a Née en 1699.