205. DU MÊME.
Paris, 30 avril 1779.
Sire,
M. le baron de Goltz a bien voulu se charger de faire parvenir à V. M. le faible monument que je viens d'ériger à la mémoire du vertueux et respectable mylord Marischal. Je serais bien flatté que cet Éloge pût obtenir le suffrage de V. M.; j'ai tâché d'y peindre avec vérité le digne mylord qui en était l'objet, et j'aurai du moins la satisfaction, si je n'ai pas réussi, d'avoir exprimé dans cet Éloge les sentiments de respect et d'admiration dont je suis pénétré depuis si longtemps pour le héros philosophe qui honorait de son amitié ce véritable sage.
Je ne sais si V. M. a reçu le volume de mes Éloges académiques que j'ai adressé il y a trois mois à M. de Catt; je n'ai point eu de nouvelles de son arrivée, quoique je n'aie pas perdu un moment pour envoyer ce volume à V. M., aussitôt qu'il a paru. J'ai tâché, Sire, dans ces Éloges, de peindre et d'apprécier de mon mieux les talents des hommes dont j'avais à parler, et d'y mettre le plus de variété qu'il m'a été possible, relativement à leur génie et à leur caractère. Cet ouvrage a été reçu assez favorablement; mais les autres suffrages ne sont rien pour moi, si je n'ai pas le bonheur d'obtenir celui de V. M.
En lui envoyant l'Éloge de mylord Maréchal, j'ai eu l'honneur de lui écrire un mot dans un moment où, attaqué d'un accès de fièvre, je pouvais à peine tenir la plume. Je suis mieux en ce moment, quoique faible; depuis longtemps j'aspire au moment où je pourrai avoir l'honneur de faire compliment à V. M. sur la <122>conclusion de la paix. Depuis longtemps les nouvelles publiques assurent que cette grande affaire va se terminer, et cependant elle ne paraît point encore finie; mais, d'après tout ce que j'entends dire, je la crois assez avancée pour ne point douter en ce moment que l'Allemagne ne jouisse enfin bientôt d'un si grand bonheur. Elle en aura, Sire, toute l'obligation à V. M., qui se couvre en ce moment de gloire plus que jamais. Quelle vie et quel règne! dit en ce moment toute l'Europe d'une voix unanime. Jamais plus belle pièce n'eut un plus beau cinquième acte; puisse ce cinquième acte durer encore bien des années! Je l'espère, Sire, autant que je le désire, pour le bien de l'Europe, l'exemple des autres souverains, le bonheur de l'Allemagne, et enfin pour l'honneur de la philosophie et des lettres. Elles ont besoin plus que jamais d'avoir un chef et un protecteur tel que vous. Elles n'en ont point d'autres à espérer; mais vivez, Sire, et vous leur suffirez.
V. M. a fait aux mânes de Voltaire un honneur qui efface tout celui qu'ils ont reçu. Je prends la liberté de lui envoyer un petit discours que j'ai prononcé à l'Académie le jour de la réception de son successeur. V. M. verra bien qu'à la fin de la page 10 j'ai voulu indiquer, mais à mots couverts, et qui ont été bien entendus par l'auditoire, le refus qu'on a fait à Voltaire et à Molière de les enterrer l'un et l'autre dans ce que nous appelons terre sainte, quoiqu'on ait fini par leur accorder cet honneur, mais, à la vérité, d'assez mauvaise grâce.
Je ne sais si j'ai eu l'honneur de mander à V. M. qu'un très-habile sculpteur de l'Académie, nommé Houdon, a fait un buste de Voltaire qui est d'une ressemblance et d'une exécution parfaite. Si V. M. désirait de l'avoir, je la prie de me donner ses ordres sur cet objet, et je me ferais un devoir de les exécuter avec autant de zèle que de promptitude.
Recevez, Sire, avec votre bonté ordinaire l'assurance des sentiments vrais et profonds que j'ai voués pour toute ma vie à V. M., de la vive reconnaissance que je lui dois, de l'admiration dont je suis pénétré pour elle, et de la tendre vénération avec laquelle je serai jusqu'à mon dernier soupir, etc.