1. LE MARQUIS D'ARGENS A D'ALEMBERT.
Potsdam, 2 septembre 1752.
Le Roi recherchant, monsieur, avec empressement les personnes qui ont des talents supérieurs, il était naturel qu'il désirât de vous avoir à son service; il m'a fait l'honneur de me confier qu'il serait charmé de vous donner la place de président de l'Académie, qui va bientôt vaquer par la mort de M. de Maupertuis, qui est dans un état déplorable. Je me suis chargé avec le plus grand plaisir de vous instruire des intentions de Sa Majesté, parce que personne n'est plus admirateur de votre mérite que je le suis.
Si l'offre que je vous fais peut vous plaire, voici, monsieur, sur quoi vous pouvez compter : douze mille livres de pension; un logement au château de Potsdam; la table de la cour, et encore plus souvent celle du Roi; ajoutez à cela l'agrément de disposer des pensions de l'Académie en faveur de ceux que vous en jugerez les plus dignes.
Quoique le Roi n'eût d'abord confié qu'à moi ce que je vous écris, j'ai cru que, de son aveu, je devais en faire part à M. l'abbé de Prades, par le zèle que je lui ai connu pour ce qui vous regarde; il <260>vous instruira amplement de ce que je n'ai l'honneur de vous écrire que très-succinctement.
Au reste, monsieur, je vous connais trop philosophe pour craindre que, si vous n'acceptiez pas l'offre que je vous fais, vous voulussiez la divulguer pour flatter une vanité qui n'est que pour les âmes vulgaires, et non pour celles qui sont de la nature de celles des Newton, des Locke, des d'Alembert. Consultez-vous donc, monsieur, et surtout n'écoutez pas quelques contes qui n'ont aucune réalité. Quand il en sera temps, je me charge de vous montrer évidemment que ce pays est le seul qui soit fait pour les gens qui, comme vous, savent penser.
Je suis, etc.