IV. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC LE CHEVALIER DE CHASOT. (30 JANVIER 1755 - 12 AVRIL 1784.)[Titelblatt]
<288><289>1. DU CHEVALIER DE CHASOT.
Berlin, 30 (janvier?) 1755.
Sire,
Ma disgrâce auprès de Votre Majesté me punit assez du tort que j'ai eu en méritant de lui déplaire. Depuis trois ans, ma conduite, inconnue du gracieux maître que j'ai perdu, me rendrait moins coupable à ses yeux, si j'avais le bonheur de me mettre à ses pieds et de lui parler. Le peu de cas que V. M. a fait des lettres que j'ai pris la liberté de lui écrire ne m'a pas permis d'oser me présenter devant elle pour en prendre congé. Je vous supplie, Sire, de vouloir bien oublier les fredaines d'un homme qui ne se rendra jamais indigne des bontés que vous avez eues pour lui, et de me permettre d'aller recevoir ses ordres à Potsdam.321-a Je suis avec un profond respect,
Sire,
de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant serviteur,
Chev. de Chasot.
2. AU CHEVALIER DE CHASOT.
Meissen, 28 novembre 1760.
Je vous remercie, cher chevalier, du compliment affectueux que vous m'avez adressé, par votre lettre du 15 de ce mois, sur la <290>journée de Torgau; elle vous fournit une belle occasion de me rendre un service agréable, en témoignant réellement que l'armée dans laquelle vous vous êtes trouvé ci-devant vous tient encore à cœur. Il s'agirait de me fournir trois à quatre cents hommes de recrues, que vous feriez enrôler dans vos cantons pour mon service. Je m'engagerais volontiers à faire payer pour ces gens, lorsqu'ils nous seraient délivrés, dix écus par tête; la délicatesse dans le choix de ces gens, pour la tournure, serait hors de saison et nullement nécessaire. Au cas que vous voulussiez me témoigner cette complaisance, je vous prierais de me l'écrire d'abord, pour que je puisse vous envoyer sans délai un officier de ma part, du corps de troupes que je ferai rentrer dans le Mecklenbourg, afin de recevoir et de payer ces recrues. Vous pourriez vous prêter d'autant plus facilement à me faire ce plaisir, que vous n'auriez pas besoin d'y paraître vous-même, en faisant agir des tierces personnes pour engager le susdit nombre de gens. J'attends incontinent votre réponse à ce sujet, au cas que vous vouliez vous arranger là-dessus. Sur ce, etc.
3. AU MÊME.
Leipzig, 4 février 1761.
Vous jugez très-bien, cher de Chasot, quand vous dites, dans votre lettre du 29 de janvier dernier, que j'ai eu le plaisir de recevoir aujourd'hui, que les occurrences dans lesquelles se trouvaient actuellement mes grandes affaires ne sauraient guère me permettre de m'occuper d'autre chose : et c'est par cette raison que je vous prie de prendre pour le présent quelque patience sur ce qui vous paraît tenir à cœur, et d'attendre la fin de la guerre, pour que je puisse vous y assister au possible. Sur ce, etc.
<291>4. AU MÊME.
Meissen, 8 avril 1761.
J'accepte volontiers, cher de Chasot, la recrue qui vous doit son être, et je serai parrain de l'enfant qui vous naîtra, au cas que ce soit un fils. Je ne crois pas d'ailleurs avoir sujet d'être content de la recrue que le lieutenant Schelian fait sur vos lieux. Sur ce, etc.
Nous tuons les hommes, tandis que vous en faites.
5. DU CHEVALIER DE CHASOT.
Lübeck, 16 juin 1761.
Sire,
J'ai l'honneur d'annoncer à Votre Majesté l'arrivée de la petite recrue que j'ai pris la liberté de lui offrir d'avance, il y a trois mois. C'est un gros garçon que M. le baron de Hecht,324-a son ministre, a tenu sur les fonts de baptême, et à qui il a donné (en présence de madame la chambellane d'Albedyhl de la part de la reine de Suède et du sénat de Lübeck) le nom de Frédéric-Ulric. Si ce garçon me ressemble, Sire, il n'aura pas une goutte de sang dans les veines qui ne soit à vous.
Le prince Ferdinand de Brunswic m'a envoyé de la part de V. M. un lieutenant des volontaires de Prusse, nommé Behrenkreutz, qui a fait dans une semaine vingt-sept des plus belles recrues; et si les plaintes de MM. de Raaben et Chambeaux ne l'interrompent pas, je vois qu'il pourra compléter ici un bataillon.
Le comte de Saint-Germain est passé par ici pour aller commander l'armée danoise; il a le cœur ulcéré de tous les torts qu'on <292>a voulu lui faire en France, et de la façon dont on a interprété quelques lettres de V. M. qu'on a trouvées en arrêtant ses papiers. Les ennemis du comte ont fait mention de cette correspondance en public, sans expliquer qu'elle avait eu lieu avant cette dernière guerre.
Je me recommande, Sire, aux bontés de V. M.; je lui souhaite une bonne campagne, une parfaite santé, et que Dieu vous fasse bientôt jouir en paix, à Berlin, du fruit de vos travaux. Vous avez assez fait dans ce monde pour songer à vous reposer sous vos lauriers. J'espère avoir encore le bonheur de vous y faire ma cour, et de vous y porter moi-même les sentiments du véritable attachement et du plus profond respect avec lesquels je serai toute ma vie, etc.
6. AU CHEVALIER DE CHASOT.
Bögendorf, 6 octobre 1762.
Monsieur le chevalier de Chasot,
Vous m'avez fait plaisir de m'avoir averti tout directement, par votre lettre du 28 septembre, des excès que quelques gens qui se qualifient mes officiers ont commis là-bas. Il faut que je vous dise là-dessus que ce sont des officiers des bataillons francs et autres nouveaux corps, que leurs chefs ont ramassés sans choix, tels qu'ils les ont rencontrés, et qui pour la plupart me sont parfaitement inconnus, ainsi qu'il faut attribuer à ce ramas de gens les excès que vous venez de me dénoncer. Mais pour couper court à tous ces désordres, que je déteste absolument, mon intention est, et je vous autorise même par la présente lettre, que, dès que ces sortes de gens commettront des infamies là-bas, ou feront des actions indignes, ou qui troublent la tranquillité publique, vous devez les faire arrêter incessamment, même en mon nom, et mander tout de suite à mon général-major et adjudant général, le sieur de Krusemarck, leurs noms, leur qualité, et le forfait qu'ils <293>ont commis, qui ne manquera pas tout de suite de vous avertir, à qui vous aurez à remettre ces gens arrêtés, et la juste punition qu'on leur fera sentir de leur crime et de leurs excès commis, de sorte que vous n'aurez plus à essuyer aucun chagrin ni désagrément, à ce sujet, de pareilles gens. Et sur ce, etc.
7. AU MÊME.
Potsdam, 31 octobre 1779.
Monsieur de Chasot,
Si vos fils sont placés au service de France, je vous conseille de les y laisser, car vous n'ignorez pas qu'il est impossible de les agréer, en arrivant ici, comme capitaines de cavalerie dans mon armée. Sur ce, etc.
J'ai la goutte à la main droite, et je vous écris avec la gauche que je suis l'humble admirateur de M. le gouverneur de Lübeck, tant de sa postérité légitime qu'illégitime.326-a
8. AU MÊME.
Potsdam, 22 février 1780.
Monsieur le général de Chasot,
Je ne saurais vous dissimuler mon embarras sur l'offre de vos deux fils, que vous venez de me faire d'une manière que je ne saurais qu'y être extrêmement sensible. Si je n'avais qu'à suivre les mouvements de mon cœur, je l'accepterais, et je les placerais tout de suite. Mais, portant déjà, comme ils font, le titre de capitaines au service de France, et ne pouvant accepter un grade <294>inférieur, les principes établis dans mon armée ne me permettent absolument point de les agréger dans la même qualité. Quand même, en considération du mérite du père, je voudrais faire une exception à la règle, et surmonter ma répugnance de faire des passe-droits à mes officiers anciens et bien mérités, l'état complet du corps des capitaines y mettrait un nouvel obstacle; de sorte qu'il me paraît bien plus convenable à leurs intérêts de les laisser au service de France, où, selon la lettre que le prince de Montbarrey vous a écrite, et que vous trouverez ci-jointe de retour, ils feront sûrement leur fortune. En effet, elle vous est extrêmement flatteuse, et j'y ai observé avec plaisir les expressions obligeantes dans lesquelles ce secrétaire de la guerre s'y énonce, tant sur mon personnel que sur mon armée. Sur ce, etc.
9. AU MÊME.
Potsdam, 23 février 1780.
Monsieur de Chasot,
Ayant vu par votre lettre d'hier les nouvelles instances qu'elle renferme pour m'engager à placer vos fils, de quelque manière que ce soit, à mon service, je veux bien vous dire en réponse que, n'y ayant dans ce moment aucune vacance, il vous faudra toutefois patienter jusqu'à ce qu'il s'y fasse quelque ouverture. En attendant, reprenez, si vous le voulez, vos deux fils avec vous à Lübeck. Je pourrai vous avertir d'ici quand l'occasion se présentera de les employer.327-a Sur ce, etc.
J'aurai l'honneur de vous parler demain après-midi.
<295>10. AU MÊME.
Potsdam, 4 mai 1780.
Monsieur de Chasot,
Je vous ai promis de vous faire part de mes figuiers. Je m'acquitte aujourd'hui de ma promesse, et vous en envoie quelques rejetons, souhaitant qu'ils vous parviennent bien, et qu'ils prospèrent dans votre jardin. Sur ce, etc.
Voilà ma parole accomplie; mais vous n'aurez pas la moitié à quoi vous vous êtes attendu de la succession de votre beau-père;328-a on m'écrit que l'imagination italienne avait enflé et exagéré au double les fonds réels de l'héritage.
11. AU MÊME.
Berlin, 1er janvier 1784.
Monsieur de Chasot,
Je suis charmé que le renouvellement de l'année me rappelle à votre souvenir, et vous remercie de ce que vous me dites d'obligeant à ce sujet. Je fais, par contre, bien des vœux pour votre conservation, espérant que l'éloignement ne vous empêchera pas de venir me voir cette année, ce qui me fera plaisir. Sur ce, etc.
Si nous ne nous revoyons bientôt, nous ne nous reverrons jamais.
<296>12. AU MÊME.
Potsdam, 12 avril 1784.
Monsieur le chevalier de Chasot,
Je vous rends grâces du plaisir que vous m'avez fait de passer quelque temps ici, et je souhaite que, de votre côté, vous retourniez chez vous content et satisfait. Mes vœux pour votre bonheur et prospérité vous accompagnent, priant Dieu qu'il vous ait, etc.
<297>APPENDICE.
AN DEN GENERAL-MAJOR OTTO VON SCHWERIN.331-a
Potsdam, den 27. Januar 1746.
Mein lieber General-Major von Schwerin. Ich habe aus Eurem Schreiben vom 22. dieses das zwischen denen Majors von Chasot und von Bronikowski vorgefallene Rencontre und des Letzteren dabei geschehene tödtliche Verwundung sehr ungern vernommen, und wünsche Ich, dass der von Bronikowski glücklich curiret werden möge; sollte er aber an seiner Blessur sterben oder bereits gestorben sein, so sollet, Ihr ihn, da er ein braver Officier gewesen, honnet begraben lassen. Ich bin Euer wohlaffectionirter König.
Ich will das Verhör von der Sache haben. Den Bronikowski wollen sie wegbugsiren; wo er stirbet, so schiebe ich einen Anderen wieder ein, und die Officiers müssen wissen, dass ich Herr bin, und bei den Regimentern placiren kann wer mir beliebet. Das lese Er ihnen Allen vor.331-b
Fch.
321-a Le Roi accorda à Chasot la permission demandée.
324-a Frédéric, parrain de l'enfant, se fit représenter au baptême par le conseiller intime Jean-Jules de Hecht, son ministre résident dans le cercle de la Basse-Saxe.
326-a Les mots postérité illégitime font allusion aux enfants que M. de Chasot avait eus d'une jeune veuve, nommée madame de Clausenheim.
327-a Le Roi ne tarda pas à prendre à son service ces deux fils du général Chasot; le 27 mars 1780, il plaça l'aîné, Frédéric-Ulric, comme lieutenant, dans le régiment de cuirassiers no 6, et le 29 mai suivant, le cadet, Louis-Frédéric-Adolphe, comme lieutenant aussi, dans le régiment de cuirassiers no 3. Le premier mourut en 1800, capitaine de cavalerie en retraite; le second, commandant de Berlin en 1808, mourut le 31 décembre 1812 (v. st.) à Pleskow, au bord du lac Peipus, colonel et aide de camp de l'empereur de Russie.
328-a La femme du comte Chasot était née comtesse Camilla Torelli, marquise de Caseo Cereali et Montechiarugulo, comtesse de Guastalla.
331-a Nous devons cette lettre, copiée sur l'original, à la bonté de M. le général d'infanterie CharlesChrétien de Weyrach. Elle se rapporte au duel dont nous avons fait mention dans notre Avertissement en tête de ce volume, no IV. Quant au général de Schwerin, voyez t. III, p. 129.
331-b De la main du Roi.