9. AU MARQUIS DE CONDORCET.
Potsdam, 24 octobre 1785.
Je vous suis très-obligé de la peine que vous vous donnez pour me procurer les instituteurs dont notre Académie a grand besoin. Je conçois qu'il y a des lenteurs, tant pour le choix des sujets que pour les déterminer à accepter les postes qu'on leur propose, et je ne doute point que vous ne réussissiez à me procurer des gens habiles, de quoi je vous aurai une grande obligation.
J'en viens à l'article des lois, que M. de Beccaria a si bien expliquées, et sur lesquelles vous avez également écrit. Je suis entièrement de votre sentiment, qu'il ne faut pas que les juges se pressent à prononcer leurs sentences, et qu'il vaut mieux sauver un coupable que de perdre un innocent. Cependant je crois m'être aperçu par l'expérience qu'il ne faut négliger aucune des brides par lesquelles on conduit les hommes, savoir les peines et les récompenses; et il y a tels cas où l'atrocité du crime doit être punie avec rigueur. Les assassins et les incendiaires, par exemple, méritent la peine de mort, parce qu'ils se sont attribué un pouvoir tyrannique sur la vie et sur les possessions des hommes. Je conviens qu'une prison perpétuelle est en effet une punition plus cruelle que la mort; mais elle n'est pas si frappante que celle qui se fait aux yeux de la multitude, parce que de pareils spectacles font plus d'impression que des propos passagers qui rappellent les peines que souffrent ceux qui languissent dans les prisons. J'ai fait dans ce pays-ci tout ce qui a dépendu de moi pour réformer la justice et pour obvier aux abus des tribunaux. Les anges pourraient y réussir, s'ils voulaient se charger de cette besogne; mais, <380>n'ayant aucune connexion avec ces messieurs-là, nous sommes réduits à nous servir de nos semblables, qui demeurent toujours beaucoup en arrière dans la perfection. Sur ce, je prie Dieu, etc.