14. AU MÊME.
(1746.)
Mon cher frère,
Assurément je ne m'attendais pas à recevoir une lettre de vous; mais depuis six mois entiers que vous trouvez à propos de bouder avec moi, que vous vivez dans la même maison sans me voir et me parler que lorsque la bienséance vous empêche absolument de vous en dispenser, rien ne me doit plus surprendre. J'étais encore moins préparé au projet que vous formez. Je ne condamne point l'envie que vous avez de vous instruire; mais il me semble que le peu d'application que vous avez à notre militaire ne doit pas promettre de grandes espérances pour ce que vous feriez en campagne. D'ailleurs, le militaire étranger est si différent du nôtre, qu'il n'y a rien à apprendre pour vous, sans compter que, dans la situation présente de l'Europe, je ne puis vous envoyer à aucune des deux arméesa sans marquer une prédilection qu'il ne me convient point de témoigner. A toutes ces raisons j'en pourrais ajouter une autre, qui est peut-être la plus forte : c'est que je sens toujours que je suis votre frère, malgré l'extrême tiédeur que vous me marquez, et que je ne crois pas que votre vie doive être prodiguée, si ce n'est pour le salut de la patrie. Je ne puis donc en aucun sens consentir au projet que vous avez formé; mais je vous prie cependant, si vous pouvez vous vaincre à ce point, de me rendre votre amitié; sinon, il faudra continuer à vivre avec vous comme le médecin Horch vit avec sa femme.
Je suis, mon cher frère, etc.
a Voyez t. IV, p. 12 et suivante.